Extrait :
Analyses de sang
Stephen Hugh-Jones
Fellowof King's Collège, Cambridge (Royaume-Uni)
Traduit de l'anglais par Gérard Lendud
L'universel et le particulier
Consacrer un volume de Terrain au sang, au sang tout court, peut paraître relever de la gageure. Sujet obligé dès lors qu'il est question de la vie humaine, le sang constitue en effet un thème abordé dans un tel éventail de disciplines (physiologie, médecine, histoire, anthropologie, sciences des religions, etc.) et ayant suscité tant de travaux à la matière si riche qu'il semble impossible de lui rendre justice dans l'espace restreint offert par une revue. Mais il y a plus. Considéré en tant qu'objet de représentations culturelles, le thème du sang affiche une dimension paradoxale : les idées nourries à son propos et les usages qui y sont liés paraissent à la fois puiser dans un fonds commun à l'humanité, et différer d'une culture et d'une époque historique à une autre. D'une certaine façon, ces représentations sont simultanément universelles et particulières. D'où, si tentante puisse être la volonté d'en traiter dans une perspective unitaire, la difficulté évidente pour en réaliser le projet.
Le sang circule dans l'organisme de tous les animaux supérieurs. Chaque culture semble avoir fait le constat, selon des attendus qui lui appartiennent, qu'il est au fondement du vivant, donc au principe de l'être humain, et qu'il entretient un rapport étroit avec ce que nous pourrions désigner sous le terme «âme» ; il est un aspect de l'âme individuelle. Ce statut fondateur de la vie et de la personne accordé au sang implique l'existence de ressemblances remarquables dans ce que les hommes en pensent et en font dans les différentes régions du monde. Pourtant, l'idée du partage d'un même sang, tout comme les sentiments de compassion et les conduites altruistes que cette idée paraît présupposer, varie considérablement selon les contextes culturels. En faisant état de sa volonté ou de son refus de donner ou de recevoir du sang, ou encore en s'appliquant à justifier qu'il verse ou qu'il épargne celui d'autrui, un homme définira très différemment la sphère du «sang partagé», des gens de même sang. Ici, elle se réduira à la famille ou au noyau de parents proches, là elle s'étendra à un groupe ethnique, à une nation ou à l'ensemble de l'humanité.
Que le sang, comme le souffle de la vie, soit un attribut reconnu commun à l'homme et à l'animal, voilà qui n'empêche pas les hommes d'adopter des attitudes très différentes, selon les contextes culturels, envers les animaux, en particulier lorsque se pose la question d'en consommer ou non la chair. Le fait, par exemple, que les animaux possèdent également un sang de couleur rouge, intimement lié à leur statut d'êtres animés, sert de substrat physiologique à l'idée, très répandue chez les peuples d'Amazonie, selon laquelle hommes et animaux partagent la détention d'une âme ou d'un esprit de même facture. Les uns et les autres sont considérés par là même comme étant à parité des personnes. Certes, ils exhibent des corps différents ; il n'en reste pas moins que les animaux et les hommes, partagent la même condition culturelle (Viveiros de Castro 1998). Néanmoins, les peuples amazoniens regardent tout échange ou tout mélange de sang, entre espèces différentes, comme étant extrêmement dangereux : le risque couru est la confusion des identités, la perte possible de ce qui fait que chaque être est celui qu'il est (Hugh-Jones 1996). Bien plus près de nous, et dans un contexte culturel radicalement différent, cette idée se retrouve, au prix évident de quelques transformations. Elle paraît présider, en effet, de manière au moins diffuse, aux craintes suscitées par la consommation de la chair et du sang des animaux ; ces craintes transparaissent dans les règles concernant l'abattage rituel des animaux de boucherie dans les communautés de confession juive ou musulmane, ainsi que dans l'organisation et la localisation des abattoirs en France (Vialles 1987).
(...)
Présentation de l'éditeur :
Contribution à une nouvelle facette des études anthropologiques sur le sang, ce dossier accorde la priorité à ce sang qui est celui des spécialistes de la santé publique et du domaine biomédical. Loin de laisser de côté le symbolique ou le surnaturel, il s'attache à montrer de quelle façon le social, le culturel et le religieux s'immiscent dans des contextes où, pensait-on communément, ils n'avaient guère leur place.
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RÉSUMÉS / ABSTRACT
INFOS
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