Présentation de l'éditeur :
Imaginaires de l'Apocalypse
Pouvoir et spiritualité dans l'art gothique européen
La fin de la période gothique, au coeur de mutations politiques et spirituelles décisives, marque un tournant de l'histoire de l'art européen.
Dans les années 1428-1435 puis 1486-1490, trois peintres, Jean Bapteur, Péronet Lamy et Jean Colombe, illustrent le dernier texte de la Bible et son commentaire rédigé par Bérangaud, et font se rejoindre en un somptueux ouvrage deux traditions iconographiques : celle des Apocalypses anglaises, bien connue des historiens de l'art médiéval, et une tradition napolitaine élaborée à la cour des Anjou, rois de Naples et de Jérusalem.
Affrontant la question des modèles iconographiques empruntés par les peintres des ducs de Savoie pour enluminer le manuscrit, ce livre explore ces deux foyers, anglais et napolitain, et apporte tout particulièrement un éclairage inédit sur la tradition gothique italienne dont la genèse peut être identifiée sur la fresque de Santa Maria di Donnaregina et sur les célèbres panneaux de Stuttgart, deux oeuvres exécutées à Naples dans les années 1320-1330.
L'interprétation modernisée que nous livrent les peintres de l'Apocalypse de l'Escorial instaure une rupture fondamentale dans la lecture des visions de saint Jean, jusqu'alors enfermée dans un discours conservateur et allégorique. Ce livre montre que ces nouveautés, loin d'être considérées comme des divertissements courtois et pittoresques, ont été conçues en relation étroite avec le texte biblique et son commentaire. En projetant leur propre destin sur les visions grandioses et triomphales de l'Apocalypse, les princes de Savoie légitiment et sacralisent le règne terrestre qu'ils exercent sur leur principauté, parvenue, au cours du XVe siècle, au plus haut niveau de son ascension politique.
Laurence Rivière Ciavaldini est maître de conférences en histoire de l'art médiéval à l'université Pierre Mendès-France de Grenoble-II. Ses recherches portent actuellement sur les manuscrits de la maison de Savoie et les relations entre l'Italie, la Savoie et les Pays-Bas septentrionaux, dans une perspective interculturelle. Cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat.
Extrait :
Extrait de l'avant-propos :
Quelle étrange et surprenante fortune que celle de l'Apocalypse, dernier Livre de la Bible, qui dès l'an mil, une fois débarrassée de ses tensions eschatologiques, fut élevée en Occident au rang de Livre des rois, des princes et des puissants de ce monde. L'Apocalypse de Bamberg, propriété d'Otton III, dont un portrait figure à la fin du texte, nous en donne un fastueux exemple. L'un des plus riches manuscrits du commentaire de Beatus fut commandé à Facundus par le roi de Castille et de León, Ferdinand Ier, et son épouse Sancha. Parmi les plus somptueuses Apocalypses anglaises du XIIIe siècle, on mentionnera celle de Trinity Collège, propriété de la reine Éléonore de Provence, épouse d'Henri III et mère du prince Edward pour lequel fut à son tour exécutée une autre Apocalypse illustrée de haut luxe, celle de la Bodleian Library d'Oxford (ms. Douce 180). Quelques décennies plus tôt, lorsque Blanche de Castille entreprit d'ajouter un Nouveau Testament à la Bible moralisée qu'elle avait offerte à son mari, Louis VIII, elle se contenta d'abord d'une Apocalypse et d'une Harmonie des Évangiles selon Tatien. L'Apocalypse, seul livre du Nouveau Testament, fut ajoutée à l'exemplaire de Vienne (ÔNB 1179). La commande d'une Apocalypse illustrée de haut luxe par les souverains de Savoie n'a donc rien de surprenant : AmédéeVIII, premier duc, et Charles Ier se sont conformés à des usages princiers déjà bien établis.
Ce texte flamboyant fut pourtant écrit par Jean à l'intention de communautés marginales d'Asie Mineure, qui à la fin du premier siècle vivaient leur foi dans la crainte et la haine de Rome. L'ennemi de l'Agneau, c'est évidemment le Dragon, Satan, mais celui-ci a pour alliée la Bête, l'Empire, qui rend un culte idolâtre à ses souverains et dont une autre figure est celle de la grande Prostituée avec laquelle rois et puissants ont forniqué. Jean et les chrétiens d'Asie à qui ce Livre est destiné croyaient à un retour prochain du Christ, à une fin imminente de ce monde. Lorsqu'on comprend aujourd'hui l'Apocalypse comme une vision de la fin des temps, comme une prophétie dramatique, on ne trahit nullement la pensée de son auteur.
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