Extrait :
Introduction
Les grands bâtisseurs de l'histoire furent des inventeurs et des visionnaires. Le dôme de Brunelleschi, à Florence, qui stupéfia ses contemporains, est devenu depuis lors le site le plus connu de la ville. De même, l'Opéra de Sydney, poème de béton conçu par Utzon, symbolise désormais l'identité australienne, la tour Eiffel est devenue un emblème parisien universellement reconnu et le Taj Mahal un symbole clé de l'Inde. Construire est une activité humaine fondamentale depuis l'aube de la civilisation : les premières structures identifiables en tant que bâtiments et non comme de simples abris primitifs sont probablement apparues au Proche-Orient vers 9000 av. J.-C. La civilisation est synonyme de vie citadine ; les premières villes au monde firent leur apparition au Proche-Orient, le long d'une bande de territoire s'étendant de l'Anatolie (en Turquie moderne) jusqu'au delta du Nil. Dès le deuxième millénaire av. J.-C., en Chine, une civilisation sophistiquée avait donné naissance à des modes de construction spécifiques. C'est à cette époque que les technologies, les styles et les formes qui spécifieraient la construction au Japon, en Inde, dans le monde arabo-musulman et en Méditerranée virent le jour. Ces temps reculés furent les premiers à nous léguer quelques noms de concepteurs - à l'image d'Imhotep (env. 2780 av. J.-C), grand prêtre égyptien bâtisseur de pyramides et inventeur présumé de la colonne, à qui certains attribuent également la découverte de la science médicale.
ARTISTES, SCIENTIFIQUES ET SOUVERAINS
Les premiers bâtisseurs ne revendiquaient pas le titre d'«architecte» ou d'«ingénieur» - ces professions n'apparurent en effet que relativement récemment. Ils étaient le plus souvent des artistes (à l'instar de Giotto ou de Brunelleschi), des hommes de science (comme Wren), voire des monarques : le grand empereur moghol Shah Jahan, bâtisseur le plus réputé de son temps en Inde, fut bien plus qu'un simple commanditaire. L'ère de l'architecture que nous décrivons ici commence au début du XVe siècle, une époque à laquelle les artistes se faisaient d'abord connaître en tant que personnalités à part entière - en Occident, l'ouvrage de Giorgio Vasari La Vie des artistes (publié en 1550), dans lequel est mentionné Brunelleschi, fait date en ce sens. Bâtir s'apparentait alors à un art. Qavam al-Din Shirazi, célèbre architecte de Tamerlan contemporain de Brunelleschi, se décrivait volontiers comme un simple maçon. En revanche, les bâtisseurs des grandes cathédrales de France et d'Angleterre sont demeurés pour l'essentiel anonymes, cantonnés dans la catégorie des «maîtres maçons», hormis des exceptions notables comme le Britannique Henry Yevele, nommé concepteur de la Maçonnerie du Roi en 1360. Goethe, dans un écrit de 1772, qualifiait Erwin von Steinbach (mort en 1318) - qu'il pensait à tort l'unique architecte de la cathédrale de Strasbourg - de génie surhumain. D'autres écrivains de la période romantique imaginaient que les abbayes étaient conçues et construites par les moines, voyant par exemple en William of Wykeham, grand évêque anglais du XIVe siècle, l'auteur (et le fondateur) du New Collège d'Oxford et du Winchester College.
En réalité, les apports respectifs des maçons/architectes médiévaux et de leurs commanditaires sont complexes à démêler : au début du XIIe siècle, l'abbé Suger, de l'abbaye de Saint-Denis, fut-il un pionnier visionnaire de l'art gothique ou tout simplement un protecteur aux idées progressistes ? Au Moyen Âge - comme de tout temps -, bâtir était indissolublement lié au pouvoir : les châteaux gallois d'Edouard Ier, dont les plans furent dessinés à la fin du XIIIe siècle par le Savoyard James de Saint George, décrit à parts égales comme un «ingénieur» et un «maçon», étaient les plus imposants de leur époque. Les fortifications de Sébastien Vauban, en leur temps, exprimaient les ambitions territoriales de Louis XIV : le Roi-Soleil fut un bâtisseur phénoménal. En 1671, il fonda l'Académie royale d'architecture, qui sera par la suite intégrée à l'Académie des beaux-arts.
L'oeuvre de Wren tranche en ce qu'elle reflète l'éthique culturelle et politique d'une monarchie qui avait cessé d'être absolue - Charles II n'aura pas son Versailles. Wren était foncièrement un gentleman architecte, un lettré dans l'âme, tandis que Vauban, soldat de métier, était un ingénieur militaire qui sera élevé au rang de maréchal de France. La tradition du gentleman amateur, dont l'Anglais Richard Boyle, troisième comte de Burlington, fut l'archétype, perdura pendant tout le XVIIIe siècle.
Biographie de l'auteur :
Kenneth Powell, qui habite à Londres, est historien de l'architecture, critique et consultant. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'architecture britannique du XXe siècle et contemporaine, ainsi que sur les oeuvres de Norman Foster, Richard Rogers et d'autres grands architectes du Royaume-Uni. Il est membre du Conseil universitaire du Royal Institute of British Architects et a siégé au Council of the Architectural Association.
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