Extrait :
Extrait de l'introduction
On appelle «enfant caché» un survivant qui a, enfant, dû se cacher et dissimuler son identité afin d'échapper à l'arrestation, la déportation et l'extermination pendant la Shoah. Durant cette période, cet enfant a généralement été séparé de ses parents et du judaïsme. Au lendemain de la guerre, il a le plus souvent appris qu'une bonne partie de sa famille avait été assassinée - beaucoup sont restés orphelins d'au moins un parent. La plupart sont redevenus juifs après la guerre.
Que s'est-il passé pour ces enfants pris dans la tourmente de la persécution meurtrière antisémite ? Comment ont-ils réagi au fait que les autorités voulaient les tuer parce qu'ils étaient juifs ? Ils étaient certes trop jeunes pour comprendre les raisons profondes du projet diabolique nazi ; ils n'en connaissaient pas les soubassements idéologiques, mais ils savaient - tous en témoignent - qu'on en voulait à leur vie parce qu'ils étaient ce qu'ils étaient : juifs.
Comment, dès lors, ont-ils réagi à cette agression identitaire ? Quels enfants sont-ils devenus pendant cette période de chasse à l'homme ? Quelles stratégies psychologiques ont-ils adoptées pour survivre ? Ont-ils été effrayés au point de tenter de faire disparaître en eux toute trace de judaïsme ? Ont-ils, au contraire, cherché à l'être davantage ? Ou bien ont-ils joué double jeu, à la manière des marranes - chrétiens dehors, juifs dedans ? Ont-ils renoncé à être les enfants de leurs parents ?
Et une fois la guerre terminée, comment se sont-ils réinsérés dans une société qui les avait vomis ? Certains, on le sait, ont retrouvé leur famille, une famille souvent démolie ; beaucoup sont restés orphelins. Certains ont émigré, avec une partie de leur famille, parfois seuls, ils ont changé de monde, changé de culture. D'autres, au contraire, ont retrouvé leur quartier, l'école de laquelle ils avaient été expulsés. Comment ces enfants ont-ils réintégré le monde «normal», alors même qu'ils avaient été transformés par ce qu'ils venaient de traverser ?
Dévoilement
On parle d'«enfants cachés» depuis peu. L'expression est née en même temps que la première réunion internationale des enfants cachés à New York en mai 1991. Avant cette date, le concept n'existait pas. Depuis lors, de multiples associations de par le monde ont vu le jour, en Amérique du Nord, en Israël, en France, en Europe occidentale et orientale, en Australie et en Amérique du Sud. Partout où des enfants juifs cachés en Europe sous le nazisme ont refait leur vie, des collectifs se sont créés rassemblant pour certains jusqu'à 1 000 personnes. Pour quoi faire ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi si tard ? La création de ces associations est arrivée plus de quarante-cinq ans après la fin de la guerre. Les enfants cachés, devenus adultes, ont aujourd'hui plus de 70 ans, et c'est depuis peu qu'on s'intéresse à leur vécu, pressentant qu'ils avaient pu vivre des traumatismes psychiques aux conséquences douloureuses et persistantes.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs qui avaient survécu sans être déportés n'étaient pas considérés comme victimes de traumatismes. La notion de survivant se limitait à ceux qui avaient survécu à la déportation ; la psychiatrie classait leurs souffrances sous les termes de «syndrome du survivant des camps de concentration». La psychologie du traumatisme de la Shoah et de sa transmission s'est développée plus tard, d'abord aux États-Unis dans les années 1970, puis en France et en Europe, à partir des armées 1990. Il faut dire qu'au lendemain de la Shoah, au temps où les enfants cachés juifs étaient encore petits, la psychologie de l'enfant était une spécialité très peu répandue. À l'époque, on semblait penser qu'un enfant qui avait été mis à l'abri à la campagne, sous une fausse identité lui donnant droit aux tickets de rationnement et à l'école, avait été épargné. Au regard de ce qu'avaient subi les déportés, se soucier des souffrances psychologiques des enfants aurait semblé déplacé. Les enfants eux-mêmes, n'ayant pas été encouragés à se retourner sur leur récent passé, encore moins à le raconter, à s'en plaindre, à construire un récit cohérent, n'ont jamais pensé que leur histoire pouvait susciter de l'intérêt. Jusqu'à cette fameuse rencontre internationale en 1991, sorte de convocation publique, inaugurant une nouvelle définition d'eux-mêmes, les enfants cachés «n'existaient pas». Nul n'imaginait que ces angoisses profondes et secrètes, ces cauchemars de guerre récurrents, ces sursauts incontrôlables, ces phobies des séparations, des halls de gare, des départs, ces tristesses inexpliquées, ces besoins soudains d'isolement et ces rages enfouies étaient partagés par des milliers d'individus et avaient une même cause.
Présentation de l'éditeur :
« Ils s appellent Boris Cyrulnik, Serge Klarsfeld, Saül Friedlander, André Glucksmann, Sarah Kofman, Simha Arom... C étaient de petits enfants juifs durant la guerre. Ils étaient destinés à périr dans les camps de la mort. Ils ont miraculeusement été sauvés.
On appelle « enfant caché » un survivant juif qui était enfant pendant la Shoah et qui a dû dissimuler son identité afin d échapper à l arrestation, la déportation et l extermination. La France fut l un des rares pays où une solide organisation de sauvetage des enfants juifs a pu être mise en place, et elle fut particulièrement efficace. De toute l Europe occupée, c est elle qui a réussi à sauver le plus grand nombre d enfants juifs.
Mais que s est-il passé dans la tête de tous ces enfants pris dans la tourmente de la persécution meurtrière antisémite ? Comment ont-ils réagi au fait que les autorités avaient décidé de les tuer parce qu ils étaient juifs ? Comment dès lors, ont-ils réagi à cette agression identitaire ? »
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