Extrait :
Fuite
Me voici donc de nouveau meurtri, en route pour le grand ouest, caché dans une caravane. Outre les marchands, de nombreux pèlerins accompagnent le convoi, des adeptes du culte d'Isis et d'Osiris le noyé. Battant le pays à la recherche de nouveaux adeptes, ils s'en vont aux cérémonies d'inauguration d'un nouveau sanctuaire dédié à leur idole, sur les bords du Nil.
En danger de mort, je n'ai pas eu le choix : il m'a fallu quitter Ur. Je n'ai même pas eu le temps de dire au revoir à Tadush, mon ami, le fils du fournisseur attitré de mon père. Et je suis parti un goût d'échec dans la bouche. Terah, mon père, me traitait à peine mieux que mes demi-frères. Quant à ma mère, Amitlaï, elle avait préféré rejoindre les tentes de sa tribu plutôt que de s'occuper de moi, son fils hors la loi, l'ermite malgré lui. Demi-fils d'une demi-mère et d'un demi-père : voilà ce que je suis !
Tandis qu'Ur et ses palais disparaissent dans le lointain, revêtu de la robe safran des pèlerins, le coeur soulevé par les cahots des routes commerciales qui sillonnent le pays d'entre-les-deux-fleuves, je pleure de devoir ma vie à Isis. La conversion ou la mort : j'ai dû trancher. Ai-je le droit d'abjurer ainsi ma foi pour avoir la vie sauve ? Si l'on doit renoncer à ce que l'on est, à quoi cela sert-il d'être ? Jusqu'où pourrai-je aller sur la voie du compromis ? Sous cette ridicule tunique, j'ai l'impression de trahir mon Dieu. Dans la précipitation de mon départ, je me suis laissé influencer par mon grand-père Nahor, le seul membre de ma famille qui m'ait jamais témoigné de l'attachement, quand il est venu me presser de m'enfuir. Pourquoi ai-je accepté ? N'aurais-je pas dû me sacrifier pour mon Dieu ?
Pour l'heure, les hommes de Nimrod inspectent notre équipage, aidés par des chiens à peine domestiqués. On agite sous la truffe de l'un des molosses une sorte de poupée de chiffon. Je la reconnais, c'est un vieux cadeau de mon père, l'effigie d'Adad, le dieu de l'Orage et de la Fertilité. Adad tenait, avec Sin, le dieu de la Lune, une place de choix dans ma collection de petits dieux. Mais là, il m'évoque mon père : sa toison me fait penser à sa barbe et ses yeux rouges à sa capacité à se mettre en colère. Est-ce mon père qui leur a confié cette relique imbibée de mon odeur ? Je repense au temps où il me l'avait offerte, peu après le départ de ma mère. Elle l'avait quitté un matin, n'en pouvant plus d'être enfermée dans cette ville trop étroite. Comme elle, je suis de l'engeance apirù : mon âme est nomade, et le désert m'attire. Lui seul étanchera ma soif d'absolu, moi qui, jusqu'à mes quinze ans, n'ai connu que les parois d'une caverne et les murs d'une maison coincée entre la ziggourat de Sin et le temple de Giparù.
Présentation de l'éditeur :
?Fuyant Ur et les hommes de Nimrod, roi de Sumer et d'Akkad, le jeune Abram doit s'enfoncer dans une suite d'épreuves qui le mèneront aux confins du désert et de lui-même. Pourquoi est-il ainsi poursuivi par la vindicte babylonienne ? Le dieu unique qu'il prie dans ce monde idolâtre existe-t-il bien ? Traqué, méprisé, rejeté, Abram retrouvera Noé et les siens, qui lui révéleront le sens de sa quête, avant de revenir affronter Nimrod, "le roi de l'horreur profonde" (V. Hugo), dans un ultime défi scellant sa destinée. Alors, il pourra avoir une descendance et devenir Abraham, père du monothéisme. Quand le roman nous révèle ce que la Bible ne dit pas des premiers temps du monothéisme !
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