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Pour qu’il n’y ait pas de confusion, et comme je l’ai dit dans le prologue, sachez tout de suite que je vais évoquer ici le fameux "cas Bergamme". L’homme finissait ses jours au fond d’une cellule de la clinique-prison de *** spécialisée dans les soins et la garde des personnes désaxées par les maladies dites "muséeuses" — ainsi désigne-t-on ces pathologies devenues de plus en plus courantes en ce nouveau siècle, lesquelles — c’est le cas ici — ont souvent provoqué des crimes presque incompréhensibles et dont les motifs ne sont pas faciles à analyser.
C’est au début de l’année 2015 que Bergamme avait pris conscience qu’un double symétriquement contraire à celui qu’il paraissait être se dissimulait en lui... Evidemment nul n’est celui qu’il donne à voir mais bien celui qui dissimule en lui un quelqu’un qu’il refuse de dévisager en face... et donc de révéler à soi-même ainsi qu’aux autres. Justement, la façon dont Bergamme s’est comporté jusqu’au bout derrière les cimaises du Grand Musée devrait servir d’illustration peu banale à ce cas paradoxal. Voilà pourquoi j’ai décidé de mettre par écrit ce que j’ai pu apprendre de lui car, comme je l’ai déjà dit, son cas célèbre parmi les cliniciens spécialisés dans ces sortes de maladies dites pathologies "muséeuses" me paraît suffisamment singulier pour qu’il en demeure si possible une trace durable dans la chronique littéraire de ce premier siècle du troisième millénaire — comme d’ailleurs il en reste d’indélébiles sur la plupart des tableaux qu’il a volés.
Longtemps Bergamme avait cru aimer l’art ; il s’était persuadé que seul l’art pouvait l’élever au-dessus de lui-même. Il croyait le penser jusqu’au jour où il avait pris conscience que de s’intéresser de près à l’art n’impliquait pas forcément ce qu’on appelle "l’amour de l’art" ni même une curiosité de l’art, ou le désir de magnifier l’art mais tout au contraire d’en être un obsessionnel insatisfait... ou disons, pour laisser aux artistes le privilège de l’insatisfaction, de ce qu’a d’approximativement insatisfait tout geste symétriquement contraire à celui du créateur. De là l’étrange originalité de Bergamme. Car, sans être un grand artiste, Bergamme était, en quelque sorte malgré lui, devenu, selon son expression : un grand destructeur-inacheveur. Son insatisfaction mal dominée le poussait à des actes exactement contraires aux motivations qui le forçaient à agir. Il faut bien l’admettre, presque toujours les véritables "grands artistes" sont de grands destructeurs. Et rien n’est plus déprimant pour eux, et même par moments terrifiant, que de se sentir entraînés à ne faire de leur vie qu’un seul et fatal acte transgressif. Mais dans le cas de Bergamme, c’est justement la peur de cet autre lui-même capable de transgresser qui en avait fait un maniaque d’une rare espèce et non le grand artiste qu’il avait espéré devenir. Disons que Bergamme était un grand artiste... "raté". En écrivant cette phrase, je pense cependant à Van Gogh qui, après s’être tiré une balle, avait eu le temps de laisser sur un bout de papier ces simples mots : "Je suis un... raté !" Quel grand artiste, au moment d’entrer dans la mort, ne s’est vu soudain tellement loin de ce sublime que toute sa vie il avait cherché à rejoindre ! Quel grand artiste ne meurt déçu de lui-même ? Arrivé à l’instant ultime, Virgile n’avait-il pas demandé que l’on détruise ses écrits ? De même Kafka... Oui, tout grand "créateur" ne peut faire autrement que d’agir en destructeur... lui aussi raté. Un grand artiste n’a jamais rien "réussi", tous les grands artistes sont des... "ratés". "Seuls les artistes médiocres ont "réussi", m’avait dit Bergamme, puisqu’ils n’ont jamais osé s’attaquer à La Forme consacrée." Oui, voilà ce qu’avait affirmé Bergamme !
L’originalité de Bergamme venait de sa lucidité. "Ne pouvant être le grand artiste destructeur que j’aurais voulu être en créant une nouvelle Forme, il ne m’était resté qu’un irrépressible désir non de destruction mais d’inachèvement... ou si vous préférez de renforcement de l’unicité. C’est cela ! Si tu n’es un grand artiste, sois alors au moins, en ces temps de surmultiplication, oui sois au moins un grand inacheveur !... un grand retourneur à l’unicité." Voilà ce qu’il m’avait dit quand je lui avais rendu visite dans sa cellule où, souffrant de ses vieilles brûlures qui n’arrivaient pas à cicatriser, ainsi que d’épouvantables escarres, il passait ses journées couché, à serrer les dents de douleur. "Mais même l’inacheveur que j’ai voulu être a échoué ! m’avait-il dit encore. En ce qui concerne les tableaux, je serais un peu comme un tueur qui n’aurait pas osé parachever son crime... A force de vivre à rebours de moi-même, je ne pouvais qu’être une victime de plus... victime de l’Art ! Toute victime cache un possible tueur... et le tueur une possible victime. N’en ai-je pas fait la preuve en détruisant le Grand Musée... et surtout en exécutant son conservateur en chef Gerbraun ainsi que plus ou moins directement trois de ses collaborateurs... et aussi, mais celles-là par accident, trois de ses collaboratrices ? Aucune lutte humaine ne se passe hors de nous. Pourquoi la vie est-elle si épuisante pour l’esprit ? Chacun de nous n’est-il pas victime de cette lutte circonscrite de lui à lui puisque rien ne se passe jamais en dehors de cet espace obscur qui est nous : l’Homme, l’Humain, oui, nous, cette abomination !" Voilà encore ce que m’avait dit Bergamme longtemps après les tragiques événements dont je vais essayer de rendre compte dans les pages suivantes.
A l’époque, ce petit homme manifestement dérangé avait pris l’habitude de parcourir les salles trop pleines du Grand Musée, se frayant à coups de coude un passage en direction "d’un des tableaux les plus destructeurs de toute l’histoire de la peinture — non pour ce qu’il représente mais pour l’intention dévastatrice que Courbet savait bien y avoir mise", m’avait-il dit pendant une de mes visites dans sa cellule. En quoi je lui donnais raison. Donc, tout en fendant la foule en direction de ce tableau dévastateur, Bergamme espérait réussir un jour à le décrocher, à le sortir de son cadre et à l’emporter sans être vu de personne — "car ce tableau doit fatalement être dérobé, que ce soit par moi ou par quelqu’un d’autre ; il doit retourner au secret", se disait-il en bousculant les groupes qui encombraient, comme d’habitude, les salles trop vastes du Grand Musée. Il était persuadé que s’il décrochait, sans s’en cacher, ce tableau, s’il le sortait de son cadre, et le découpait tranquillement devant tout le monde pour le rouler à vue, "au milieu de ce tas d’aveugles", m’avait-il dit encore, "comme je l’ai fait d’ailleurs en plein midi, du Chemin de Sèvres de Corot", personne ne s’en apercevrait. "N’est-il pas évident que les gens en groupe sont aveugles et qu’ils traversent les musées en aveugles ?" Ajoutant : "La parole de ces abrutis d’accompagnateurs remplace si bien le regard que rien ne serait plus facile que d’emporter sans être vu un tableau de cette importance... surtout quand on est comme moi plutôt d’une taille insignifiante." Bergamme imaginait la cimaise enfin vide.
Cet écrivain-peintre-auteur-compositeur s'est dressé sa vie durant contre l'art du XXe siècle. Tous ses personnages n'ont de cesse de trouver une éthique qui leur permette de résoudre l'équation de la condition humaine. L'Origine du monde en est un éblouissant exemple. --Laure Anciel
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Description du livre Soft Cover. Etat : new. N° de réf. du vendeur 9782742739295
Description du livre Paperback. Etat : Brand New. 408 pages. French language. 6.69x4.33x0.87 inches. In Stock. N° de réf. du vendeur zk2742739297
Description du livre Paperback. Etat : NEUF. L'origine de l'incendie criminel qui va ravager en 2020 le Grand Musée tient d'abord à la folie de Bergamme, nain cleptomane et iconoclaste. Pour sauver ce qui, selon lui, dans l'Art serait unique, il prétend dérober, retoucher, inachever les plus célèbres tableaux - à commencer par L'Origine du monde devant lequel il vient si souvent faire scandale au Grand Musée.Mais la responsabilité de la tragédie incombe également à Gerbraun, conservateur en chef, apôtre de la duplication en série des chefs-d'oeuvre, qui ouvre à Bergamme les coulisses du prestigieux établissement subitement envahi par une dangereuse ébriété sexuelle.En peintre et en romancier, Rezvani passe au crible d'une imagination provocante les aspirations les plus élevées et les ridicules les plus achevés de nos pratiques muséeuses, et fait de l'amour de l'Art une passion aussi ambiguë que dangereuse. - Nombre de page(s) : 402 p. - Poids : 0g - Langue : fre - Genre : Littérature Romans Poche Babel. N° de réf. du vendeur N9782742739295