Revue de presse :
Si l'Egypte était un immeuble, ce serait L'Immeuble Yacoubian. Son architecte s'appellerait Nasser, et l'agent immobilier chargé de nous le faire visiter Alaa El Aswany. Un romancier qui ne bonimente pas, El Aswany ! A chaque chapitre, c'est un pan de façade qui s'effondre et un nouvel aspect de la société égyptienne qui se révèle brutalement. Sans tabous, mais sans cruauté non plus... Hypocrisie, corruption, mensonge à tous les étages : L'Immeuble Yacoubian, qui a connu un très grand succès en Egypte, est un roman sociologique, donc politique, dans un pays où les deux plans ne sauraient être séparés. Un roman qui dévoile, mais qui n'est pas une entreprise de démolition pour autant... (Olivier Pascal-Moussellard - Télérama du 25 janvier 2006)
L'Immeuble Yacoubian est l'un de ces somptueux bâtiments du centre-ville du Caire, vestige de la splendeur disparue de l'Egypte cosmopolite de la première moitié du XXe siècle. S'y sont installées, au gré de l'exode des étrangers, de la révolution nassérienne, puis de l'affairisme des nouveaux riches et de l'afflux des ruraux, des populations hétéroclites dont la cohabitation improbable symbolise le mélange social explosif du Moyen-Orient d'aujourd'hui. C'est Pot-Bouille de Zola ou Passage de Milan de Michel Butor, dans une société devenue folle, où la cupidité et la misère se côtoient avec une sourde violence dont se nourrit l'islamisme armé...
Par la fécondité de sa veine, Alaa El Aswani évoque la tradition réaliste du roman populaire égyptien moderne, qu'a incarnée un Naguib Mahfouz - peignant de grands chromos contrastés qui ont inspiré d'innombrables feuilletons télévisés et productions cinématographiques locales...
Mais là où le roman populaire ou le feuilleton diluent la critique sociale dans la chansonnette et folklorisent la misère pour la rendre souriante, Alaa El Aswani subvertit les canons de cette fiction convenue pour en faire un diagnostic sans concessions du drame que vit la société égyptienne d'aujourd'hui, et, au-delà, une bonne part du Moyen-Orient et du monde musulman - tout en sachant parler un langage qui est à même de toucher la masse des lecteurs, par-delà les cénacles littéraires ou universitaires.
Plus encore, L'Immeuble Yacoubian brise les tabous majeurs de l'hypocrisie religieuse qui pare la violence sociale et politique, en faisant du sexe la métaphore par excellence des rapports de pouvoir et le révélateur de leur cruauté...
L'Immeuble Yacoubian est un chef-d'oeuvre du roman arabe contemporain... (Gilles Kepel - Le Monde du 28 avril 2006)
Avec un talent de conteur exceptionnel, Alaa El Aswany renvoie dos à dos corruption et extrémisme. Un livre drôle et inspiré...
L'auteur ne juge jamais ses personnages, il n'est pas dénué d'affection pour eux, mais il les laisse s'enliser dans leur quotidien - celui du Moyen-Orient en général et de l'Egypte actuelle en particulier. Zaki Dessouki, le héros du livre, est un aristocrate ruiné par le pouvoir, un vieil obsédé sexuel, nostalgique d'une époque où la liberté et le cosmopolitisme avaient droit de cité. Les habitants de la rue l'adorent. Il est à l'image du pays : décadent...
Cette joviale satire a échappé, tout à fait par hasard, à la censure. D'où son succès, car politiciens, islamistes, policiers, affairistes et mafieux se retrouvent sur le même banc d'un tribunal populaire. Les tabous de la société égyptienne - sexe et religion, corruption et terrorisme - éclatent à la lecture de ce récit picaresque sans concession... L'immeuble Yacoubian fait partie de ces romans qui se savourent d'une traite... (Tristan Savin - Lire, juin 2006)
En plein coeur du Caire, l'immeuble. Une odeur de désinfectant flotte sur le palier. Au Caire, la chose est plutôt rare. Comme au bas de l'immeuble, où se pressent les voitures et les vendeurs de fruits assis sur leur carriole, on respire d'ordinaire dans la capitale égyptienne un complexe mélange de gaz d'échappement et de poussière, d'effluves alimentaires et de pisse de chat. Mais, au troisième étage, chez Alaa El Aswany, c'est le détergent qui domine. Rien de bien étonnant : Alaa El Aswany est dentiste. Dans son cabinet au bord du Nil défile au gré du jour toute une humanité terrorisée par les caries et les abcès dentaires. Pour décontracter ses patients, le dentiste leur parle. Il les écoute beaucoup aussi, et recueille, le temps d'un détartrage, le bruit, les rires et les tourments de leurs mondes. Avec sa cravate rouge dépassant de sa blouse blanche, sa roulette à portée de main et son allure débonnaire, Alaa El Aswany a l'air de tout, sauf d'un écrivain. Et pourtant, il en est un, et pas des moindres, boxant en catégorie poids lourds, du côté des phénomènes littéraires. En publiant en 2002 l'Immeuble Yacoubian, il a lâché une vraie bombe, qui, en échappant par miracle aux fourches de la censure, a secoué l'Egypte bien au-delà de ses prétentieux cénacles littéraires. Sexe, corruption, religion, la trinité des tabous est disséquée dans cette autopsie de l'Egypte contemporaine, à la fois drôle et cruelle... La galerie de portraits est truculente, elle est on s'en doute le reflet même des strates et de l'évolution de la société égyptienne. Et, sans surprise, tout comme l'Egypte des années 90, les habitants du Yacoubian vont foncer tout droit dans le précipice... L'écriture est efficace, mais pas exceptionnelle, les rebondissements sont soigneusement travaillés, et la chute du livre, tourne, sans surprise, au happy-end cinématographique... (Claude Guibal - Libération du 27 avril 2006)
De la corruption au tabou de l'homosexualité, Alaa el-Aswany, dentiste et écrivain sans peur, passe en revue les maux de son pays
Alaa el-Aswany reçoit en blouse de coton bleu et à la nuit tombée dans son cabinet dentaire, havre fleuri perché sous les toits d'une tour de Garden City, au coeur du Caire. Son dernier patient parti, ce romancier égyptien raconte dans un français fluide l'épopée de L'Immeuble Yacoubian, récit fiévreux et truculent. Quand le dentiste cesse d'attaquer les caries à la roulette, il s'efface devant l'écrivain qui, avec une égale minutie, passe la plume dans les plaies d'Egypte. L'hypocrisie, la pudibonderie, les tabous intimes d'une société sclérosée, la corruption, l'affairisme, l'arrivisme et l'arbitraire : rien ne manque... publié en arabe et en anglais dès 2002, maintes fois réédité depuis, L'Immeuble Yacoubian a fait un carton au Moyen-Orient,... (Vincent Hugeux - L'Express du 9 février 2006)
Extrait :
Cent mètres à peine séparent le passage Bahlar où habite Zaki Dessouki de son bureau de l'immeuble Yacoubian, mais il met, tous les matins, une heure à les franchir car il lui faut saluer ses amis de la rue : les marchands de chaussures et leurs commis des deux sexes, les garçons de café, le personnel du cinéma, les habitués du magasin de café brésilien. Zaki bey connaît par leur nom jusqu'aux concierges, cireurs de souliers, mendiants et agents de la circulation. Il échange avec eux salutations et nouvelles. C'est un des plus anciens habitants de la rue Soliman-Pachas. Arrivé à la fin des années 1940, après ses études en France, il ne s'en est plus jamais éloigné. Pour les habitants de la rue, c'est un aimable personnage folklorique, vêtu été comme hiver d'un complet dont l'ampleur dissimule un corps maigre et chétif, une pochette soigneusement repassée et assortie à la couleur de la cravate dépassant de la poche de la veste, son fameux cigare à la bouche - du temps de sa splendeur, c'était un luxueux cigare cubain, maintenant il fume un mauvais spécimen local à l'odeur épouvantable et qui tire mal -, son visage ridé de vieillard, ses épaisses lunettes, ses fausses dents brillantes et ses cheveux teints en noir dont les rares mèches sont alignées de gauche à droite pour cacher un crâne dégarni. En un mot, Zaki Dessouki est un personnage de légende, ce qui rend sa présence attachante, et pas totalement réelle, comme s'il pouvait disparaître d'un moment à l'autre, comme si c'était un acteur qui jouait un rôle et dont on savait qu'une fois la représentation terminée il allait enlever ses vêtements de scène pour reprendre ses habits de tous les jours.
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