Extrait :
UNE JOURNÉE IDÉALE
Lundi 4 mai 1992
Je m'appelle Humbert Klumbert, j'ai quarante ans depuis vendredi. Ce matin encore je me suis réveillé au bord du lit, entortillé dans les draps comme une araignée dans ses fils.
Mon premier contact avec le sol ne s'effectue jamais du pied gauche (humeur oblige). Une main sur le parquet, l'autre sur le boutis, je me déroule lentement. Première figure imposée : mon gros orteil décrit un arc de cercle. Je prends appui sur la plante du pied droit. Si le gauche effleurait le sol avant l'autre, j'en serais fort marri.
Dieu sait comment finirait une journée entamée du mauvais côté.
Et je suis droitier, il n'y a pas de raison de commencer la journée du pied opposé. C'est tout. Mes sommeils sont comme de longs comas, sans rêves, ou alors je ne me souviens pas... Ils me laissent invariablement hagard, au bord du lit, avec un goût de cuiller à sirop dans la bouche. J'aime bien que le soleil du matin zèbre les murs, le soleil c'est toujours bon signe. C'est mon horloge à moi. Et sur Michigan Avenue, il y a toujours un rai de lumière qui joue avec les stores tôt le matin.
Dieu sait comment finirait une journée entamée sans soleil.
Pied posé : journée commencée.
Je repasse le lit avec la paume de ma main, droite puis gauche. Là, quand la surface est bien lisse, je m'assois en tailleur et récite un psaume. Toujours le même. Le XC. Mon préféré. Il n'y est question ni d'apocalypse, ni de péché, ni de courroux. Le XC invoque la protection. Et on ne peut pas refuser la protection divine.
Protection invoquée : protection accordée.
Il faut de la lumière maintenant : la lumière, même artificielle, égayé l'esprit. Les médecins utilisent même des rangs de tubes fluorescents pour rétablir le moral des travailleurs de nuit. Photothérapie, qu'ils disent. Je ne vois pas pourquoi je m'en passerais. La Constitution n'interdit pas d'équiper son plafond à sa guise, ni de posséder une arme, ni de se masturber sous la douche. Du moment que la salle d'eau ne se trouve pas sur la voie publique. Je suis citoyen américain, depuis peu, mais cela me donne le droit d'abuser des plafonniers fluorescents - sans prescription - simplement parce que ma vie en dépend - et qu'on ne me parle pas de lampes halogènes ou de ces basses tensions sur câble ! Rien que des dalles de 60 x 60 en polycarbonate opale diffusant, fixées sur des cornières alu en L. Je les scrute, le matin, à l'allumage, elles clignotent, elles crépitent.
Présentation de l'éditeur :
Humbert Klumbert est autrichien, designer, et compulsif. Dans les années 1970.
il a inventé la première chaise empilable - une chaise révolutionnaire, a-t-on dit alors. En 1992, il a quarante ans, est millionnaire en dollars et vit dans un appartement spartiate de Santa Monica (Californie). Ses journées sont régies par un rituel immuable. Croit-il. C'est compter sans les émeutes qui sévissent à Los Angeles, un commissaire aux comptes amnésique de Fairfax. une brune gigantesque, des présages divers, un flic au bout du rouleau et le cyclone Dillon qui menace la côte ouest des Etats Unis... Les télescopages permanents entre l'univers obsessionnel de Klumbert et les fragments de réel déterritorialisé qui forment son environnement, la mythomanie qui semble affecter tous les personnages, le chaos engendré par des conditions météorologiques extrêmes, la violence des émeutes, l'impossibilité, dans ce contexte, de rencontres fiables et, par conséquent, la mort annoncée - et assumée - de toute raison confèrent à ce premier roman très singulier les allures d'un polar détraqué qui accueillerait la représentation des incertitudes postmodernes.
Né en 1973, JP Christopher Malitte, après des études à l'école supérieure des arts et de la communication. a été dessinateur en architecture d'intérieur pendant plusieurs années et s'est ensuite définitivement orienté cers l'audiovisuel et l'écriture. Entré en 1999 à Canal +, il y a été rédacteur freelance et coordinateur artistique avant d'y exercer ses actuelles fonctions de responsable éditorial. La Chaise Klumbert est son premier roman.
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