Un mot de l'auteur :
Le sujet du livre, Les autres, est la question de l'identité. Je la poserai de cette manière : suis-je capable moi-même de dire qui je suis ? Quelqu'un d'autre est-il capable de le dire également ? Que se passe-t-il si nous ne sommes pas d'accord ? Pourquoi cela fait-il si mal d'entendre les autres nous qualifier d'une façon qui n'est pas celle que nous choisirions ? Je m'intéresse à ce rapport entre le regard que l'on porte sur soi et celui que les autres portent sur nous-mêmes, à la discordance qui peut exister, à la souffrance qu'elle crée en nous. Au fond, je me pose la question : qui peut dire qui je suis ? Pour traiter ce sujet qui intéresse chacun d'entre nous et auquel chacun de nous, je pense, s'est trouvé confronté dans sa vie au milieu des autres, je raconte l'histoire suivante : une dizaine de personnages passent une soirée dans une maison et, à l'occasion d'un anniversaire, un jeu est offert à l'un des convives. Une partie va s'engager. Ce jeu s'appelle «Personnages et caractères», et il construit une procédure d'interrogation qui n'a rien à voir avec un jeu de la vérité, mais qui a plutôt trait à un jeu de la révélation et de l'anticipation de ce que chacun peut avoir à faire ou imaginer faire dans certaines situations. Lorsque les protagonistes répondent aux questions aussi diverses et farfelues qu'on peut les imaginer, ils révèlent, à la fois, comment ils se voient et comment ils voient les autres, et se trouvent donc confrontés aux regards que les uns portent sur les autres. Ces personnages appartiennent à deux groupes, deux noeuds relationnels : d'une part, une famille avec plusieurs générations, et d'autre part, un réseau d'amis, ces deux sortes de noeuds étant finalement toujours ceux dans lesquels nous nous trouvons pris. Pour finir, je pourrais dire que le roman a une structure un peu singulière qui était pour moi l'occasion d'expérimenter une forme littéraire un peu moins classique que celle de mes précédents livres. Cette structure comprend trois parties. La première partie est une série de monologues intérieurs qui permettent de rentrer dans l'histoire en étant à l'intérieur de chacun des personnages ; elle s'appelle : «Choses pensées». La deuxième partie est comme un enregistrement vivant de la soirée ; ce ne sont donc que des dialogues ; c'est une sorte de pièce de théâtre dans le roman, où on apprend toutes les choses qui ont été dites. La dernière partie est un roman classique dans lequel un narrateur omniscient, à la manière de Balzac, raconte cette soirée qui a d'abord été entrevue des deux façons précédentes ; cette dernière partie s'appelle : «Choses racontées». Cela permet de comprendre qu'un des problèmes de notre existence au milieu des autres, c'est que nous sommes des êtres opaques, non transparents aux regards des autres, qui peuvent avoir des pensées cachées, des intentions inavouées et toutes sortes de choses complexes à traiter. Merci de lire des livres, et bonne lecture pour celui-ci si, d'aventure, vous vous y plongez.
(Propos recueillis par téléphone)
Extrait :
FLEUR
CLAUDE ET MOI nous marchons sur des graviers en direction de la porte-fenêtre où une lampe fait un halo de lumière. Je sais que ma façon de me tourner vers lui révèle une adoration exagérée qui étonne. C'est un effet de ma volonté : je m'efforce vraiment d'aimer. Je lui demande : Tu es souvent venu ici n'est-ce pas ? Sa réponse se perd dans le bruit que font nos pas. Crr crr crr. J'aperçois Théo qui bavarde avec Estelle en lui prêtant sa cigarette. Ils sont si concentrés l'un sur l'autre qu'ils ne nous ont pas encore vus. Des bandes de fumée s'élargissent, s'estompent puis se dissipent au-dessus de Théo. L'air a la fraîcheur que font ensemble la nuit et le vent. Je me dis : Quelle chance merveilleuse d'habiter une maison, en un temps où s'élèvent des immeubles qui ressemblent à des prisons ! Le jardin compose un écrin de touffeur autour des murs. Je n'entends pas une voiture. Je dis : Regarde ! il y a même un cerisier ! Moussia prétend qu'il croule chaque année sous les fruits. Claude sait déjà tout cela. Nous sommes invités quand nous le voulons à venir en manger, me dit-il. Je demande : Moussia est très accueillante ? Très, dit Claude, elle a toujours le sourire même lorsqu'on la sollicite à l'improviste. Tu l'as déjà remarqué quand même ? Il faut que je dise oui. Je dis : Oui, j'ai remarqué. Voilà une chose qui me déplaît dans la vie à deux, on dirait que l'on perd le droit de ne pas apprécier une personne sous prétexte qu'elle plaît beaucoup à l'autre.
Je trouve que pour son âge Moussia est une très belle femme. Elle porte de grandes jupes de velours qui lui vont à merveille. Jamais je ne l'ai vue habillée autrement : pas de pantalon, toujours de la longueur. Et de la grâce. J'aimerais lui plaire.
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