Extrait :
LA FAÇON DE DONNER
La première responsable de l'étrange existence que je viens de vivre pendant vingt années est une petite affiche, de couleur jaune, que d'innombrables Parisiens connaissent et sur laquelle on peut lire, imprimés en caractères noirs, ces mots qui contiennent une constatation et une promesse : Ne soyez plus ridicule en public. Apprenez à danser. Phrase lapidaire, suivie de l'adresse d'un cours de danse et de la mention : Cours publics ou leçons particulières.
Cette affiche quelconque, je crois bien être passé devant elle mille fois, peut-être plus, lorsque je me rendais à mon travail dans le XVe arrondissement il y a de cela vingt-quatre années déjà... Ma profession d'alors ? La même qu'aujourd'hui, à quarante-six ans. Sans être tout à fait un artisan, puisque je travaille dans une entreprise employant plus de quatre cents personnes, je pense avoir quand même le droit de me considérer comme un artiste. J'oeuvre sur des chaises, tables, fauteuils, canapés, tabourets, guéridons vendus un peu partout en France ou à l'étranger et qui permettent de meubler avec plus ou moins de bonheur - et grâce à des paiements à tempérament - ces intérieurs qui prolifèrent d'année en année dans les immeubles-casernes des grands ensembles, allant de la Résidence dite «de rêve» aux H.L.M. les plus modestes.
Aucun style n'a de secrets pour moi. L'ensemble Henri II, le Renaissance, le Régence, le Louis XV, le Louis XVI, le Directoire, l'Empire, le Restauration, le Louis-Philippe, le Napoléon III, le IIIe République, le 7900, le Modem ' Style, le genre Meubles anglais, le style Arts décoratifs, l'archimoderne, le confortable et l'inconfortable, le discret et le tape-à-l'oeil, celui que l'on subit parce qu'il plaît au conjoint mais que l'on a envie de flanquer par la fenêtre, le banal surtout qui s'impose de plus en plus, tout cela me connaît ! C'est «mon» royaume. Je suis dans une immense fabrique où le plus gros du travail se fait à la machine et qui n'a de Temple du Meuble que le nom.
Après être passé par tous les stades, depuis celui d'apprenti jusqu'au poste envié de directeur de la fabrication qui est maintenant le mien, j'estime ne pas avoir une trop mauvaise situation. Ce n'est pas le Pérou, bien sûr, mais lorsqu'on arrive à gagner - déduction faite des charges sociales, des retenues de la Sécurité sociale et des impôts - trois mille francs à quarante-six ans, ce n'est pas tellement mal ! Ça pourrait être pire, et, comme l'a toujours dit Adrienne, cela pourrait être aussi beaucoup mieux !
Présentation de l'éditeur :
Monsieur Lucien n'a rien d'un aventurier, encore moins d'un séducteur. Jeune et paisible employé, sa vie est banale, presque entièrement consacrée à son travail... jusqu'au jour où il épouse Adrienne, une terrible maîtresse femme. C'est par elle et pour elle qu'il va se transformer en un personnage sans nom, sans visage et qui cache son second métier. Un étrange métier, longtemps inimaginable... Lucien devient l'un de ces hommes grâce auxquels l'insémination artificielle est désormais possible. Il est un donneur... anonyme. «Ma première pensée fut pour la belle créature que je savais maintenant enceinte de moi : c'était à la fois fantastique et grisant de se dire qu'elle portait le fruit d'un amour que nous n'avions pas fait ensemble...». Sans pudeur ni dissimulation, cet homme révèle ici ses hantises, ses joies bizarres, ses désirs refoulés. Il contribue à donner la vie sans jamais savoir le résultat de ses dons. Entre l'éthique et la médecine, il est troublé. Et dans cet extraordinaire roman, d'une grande actualité, son existence tourne au drame, précisément le jour où ce mari pas comme les autres découvre qu'il est aussi un père...
Né à Paris, Guy des Carsest l'un de nos plus grands romanciers populaires. Sa remarquable analyse des sentiments et des pulsions, sa connaissance des caractères, notamment féminins, où l'ambition le dispute à la jalousie et ses histoires bien construites ont conquis un immense public : en plus de cinquante livres, cet auteur a séduit, étonné et diverti près de cent millions de lecteurs. Plusieurs de ses célèbres romans ont été adaptés avec succès au cinéma et à la télévision.
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