Extrait :
Extrait de l'introduction
«Voici venir maintenant un livre étrange et hardi», écrit Alphonse Esquiros après avoir lu le premier roman de Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, paru à la fin de l'année 1835. Quelques années plus tard, Charles Baudelaire tient à son tour l'ouvrage pour un «véritable événement». Des trois grands romans de Gautier, Mademoiselle de Maupin est probablement celui qui fit couler le plus d'encre et il convient d'ajouter, pour être exact, que ce fut en bien comme en mal. Émile Faguet répond par exemple à l'éloge de Baudelaire par ce jugement abrupt : Mademoiselle de Maupin ? «un paradoxe de mauvais ton, mais piquant, qui finit en polissonnerie très plate». Entre tout et rien, les commentaires fusent et se contredisent, mais le roman ne laisse apparemment personne indifférent. Il traverse le siècle, auréolé d'une réputation qui sent le soufre. Il fait partie de ces oeuvres croustillantes que les jeunes femmes dissimulent sous leur oreiller après avoir crié au scandale, selon Maxime du Camp, et l'avocat de Baudelaire y puise ses exemples pour atténuer le «crime d'immoralité» de son client, au moment du procès des Fleurs du mal. Le roman est aussi curieusement récupéré au XIXe siècle par des mouvements en cours de constitution et qui se cherchent des représentants : revendiqué d'abord par les romantiques, il l'est aussi par les néo-classiques, puis par les défenseurs de l'art pour l'art. La critique a montré aussi comment il imprègne un grand nombre d'oeuvres du XIXe et du XXe siècles, du Portrait de Dorian Gray aux Enfants du Paradis, sans que les auteurs aient toujours voulu s'en apercevoir... Cette fortune étonnante témoigne à la fois de sa grande richesse et de son extrême singularité.
Qui avait-il qui le destinât à une telle «carrière» littéraire ? Certainement pas l'histoire qui ne brillait pas en soi par son originalité. Si l'on s'en tient aux seuls faits, un résumé du roman donnerait ceci : une jeune fille bien née se déguise en homme pour courir l'aventure, elle devient championne à l'épée, se bat en duel, et, surtout, au contact des hommes et des femmes qu'elle rencontre, elle se découvre d'un troisième sexe. Ainsi déguisée, elle suscite l'amour d'un poète qui ne se sent pas à sa place dans la société de son temps et celui d'une châtelaine devenue femme légère, par dépit de se voir repoussée. Par ailleurs, et comme l'a montré René Jasinski, le premier biographe de Gautier, l'auteur de Mademoiselle de Maupin puise abondamment dans la littérature de son temps, au risque d'aggraver le sentiment de «déjà-vu».
Gautier évoque assez peu son roman dans sa correspondance et il paraît difficile de préciser ce que celui-ci représenta dans sa carrière. Dans une lettre à son fils Théophile Gautier fils, dit «Toto», qui lui demandait un conseil de littérateur, il aurait écrit : «inspire toi de Maupin et de Fortunio et je te prédis ma survivance de conteur», mais on ne peut certifier l'authenticité de la lettre, comme le signale Claudine Lacoste. Quelques lettres qu'il reçoit suggèrent qu'il en faisait cas et qu'il en parlait avec plaisir. Le roman a marqué sa carrière peut-être plus qu'il ne l'aurait voulu, puisque, selon un bruit persistant, il ne lui aurait coûté rien de moins que... le siège qu'il convoitait à l'Académie française. Gautier l'écrit à vingt-trois ans, il est donc tout jeune mais il a déjà à son actif un long poème théologique, «Albertus», parodie du fantastique alors en vogue, un recueil provocateur de nouvelles, sous-titré «romans goguenards», Les Jeunes-France, où il se moque en particulier de ses anciens camarades et des clichés en général, et quelques contes fantastiques qu'il place sous le patronage d'Hoffmann, mais qui possèdent déjà leur marque propre, «La Cafetière» et «Omphale». Sans être un théoricien de la littérature, il réfléchit aussi durant ces années de création à son activité d'écrivain et à celle des autres, à l'occasion des études qu'il mène sur François Villon, Scudéry, Scalion de Virbluneau, et qui seront rassemblées en 1844 dans Les Grotesques.
Présentation de l'éditeur :
Le premier roman de Gautier, Mademoiselle de Maupin, paraît à la fin de l'année 1835. Auréolé d'une réputation qui sent le soufre, accompagné d'une préface qui scandalise, il fascine et dérange. Il constitue, selon Baudelaire, un «véritable événement». Les romantiques, les néo-classiques puis les défenseurs de l'art pour l'art le revendiquent tour à tour et, si l'on juge à sa nombreuse postérité fin de siècle, la Décadence aussi, qui y puise largement et en fait l'une de ses Bibles. Gautier ne s'intéresse que de très loin à la vie tumultueuse de la cantatrice qui lui a servi d'inspiration, Julie d'Aubigny, la véritable Mademoiselle Maupin (1670-1707), contrairement à ce que le titre laisse attendre. Son roman ne s'enferme dans aucun genre et bouscule joyeusement les catégories, en empruntant au roman par lettres, au poème lyrique aussi bien qu'au théâtre. Régi par une esthétique de la fantaisie, il privilégie les détours, l'arabesque, la confrontation des contraires, la sinuosité de la ligne et érige la féerie en modèle. L'histoire de la vraie Maupin n'est en fait qu'un point de départ, voire un prétexte : Gautier soulève avec Mademoiselle de Maupin des questions qui passionnent son temps, comme celles de l'identité du Poète, de sa place dans le monde, de son rapport à la création. Il y répond, en recourant au langage des mythes et en prenant appui sur tout un ensemble de références, littéraires et picturales, extrêmement cohérent, avec une acuité, une finesse et une lucidité rarement égalées. Mademoiselle de Maupin peut être lu, à cet égard, comme un des premiers grands romans de l'artiste que le XIXe siècle a produits.
La série Littératures publie des oeuvres de toutes littératures et de tous siècles, connues ou peu connues, qui ont marqué l'histoire littéraire, la culture ou l'évolution des idées. Ces oeuvres sont éditées dans la tradition des Éditions Champion : le texte publié est celui faisant autorité au regard des spécialistes qui ont procédé à son complet réexamen en s'appuyant sur les dernières avancées de la recherche. Littératures propose ainsi une édition sûre, des textes parfois inédits et toujours accompagnés du meilleur environnement critique et explicatif (bibliographie, index, dossiers complémentaires, etc.).
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