Extrait :
Extrait de l'introduction
«Nous avons pensé que le besoin se faisait sentir d'une édition critique de cette oeuvre importante, même si elle n'a pas la même richesse que le Lancelot propre [...], la Queste del Saint Graal [...] ou la Mort le roi Artu.» C'est par ces mots qu'en 1979, Alexandre Micha présente son édition du Merlin en prose, trahissant la place secondaire qu'il lui accorde face aux oeuvres majeures de la littérature arthurienne que le Merlin ne parvient pas à égaler selon lui. Or, tant au niveau de son contenu que de sa forme, ce roman est au contraire l'un des plus audacieux, des plus avant-gardistes et donc des plus fascinants que le Moyen Âge ait pu proposer. Composé aux environs de 1200-1210, ce texte fondateur du mythe arthurien relate l'histoire de Merlin, de sa conception aux débuts du règne d'Arthur, et pose les prémices de toute la légende bretonne. Il est le premier à s'intéresser prioritairement au personnage de Merlin et à l'ériger en prophète du Graal en le dotant d'une personnalité cohérente, bien que pourvue d'ambiguïtés, grâce à une synthèse ingénieuse de la tradition antérieure et l'apport d'éléments originaux, telle sa dualité ontologique de fils du diable racheté par Dieu. Rappelant la translation du Graal d'Orient en Occident, il est le premier récit à mettre en place les éléments nécessaires à la quête : la fondation de la Table Ronde réunissant les meilleurs chevaliers du royaume qui devront y participer, et l'élection du roi Arthur dont le règne en verra l'aboutissement. Le Merlin innove aussi par la forme qu'il adopte : premier roman en prose de la littérature française, il est encore le premier à s'inscrire dans un cycle tout en possédant sa propre unité structurelle.
CONTEXTES
Le XIIIe siècle est marqué par l'apparition d'une forme romanesque nouvelle, la prose. Ce changement majeur témoigne de l'évolution affectant la transmission du texte médiéval grâce au développement des ateliers laïques de copistes. Jusque-là, les romans étaient composés en octosyllabes à rimes plates qui facilitaient la mémorisation des jongleurs et permettaient leur diffusion orale. Le passage du vers à la prose est le fait de toutes les jeunes littératures : il se constate aussi bien dans la littérature grecque que latine qui disposait pourtant des modèles de la prose grecque. Au XIIe siècle, la prose existe en langue vernaculaire, mais elle est utilisée dans les textes juridiques, didactiques ou religieux, les chartes, les lapidaires, les traductions de la Bible, des sermons, des traités d'édification, des récits hagiographiques rédigés en latin. La prose paraît ainsi liée à l'expression d'une vérité initialement rattachée à l'exactitude des lois ou au caractère irrécusable de la parole divine. Affranchie des règles régissant l'usage du vers, elle semble aussi plus proche de la parole authentique, bien qu'elle possède ses propres contraintes stylistiques et obéisse à ses propres techniques. La prose est sentie comme le moyen d'expression privilégié d'une vérité historique ou morale. À partir du XIIIe siècle, elle apparaît chez les chroniqueurs des croisades, Robert de Clari, Villehardouin puis Joinville, et dans les grandes oeuvres historiographiques comme l'Histoire ancienne jusqu'à César ou les Faits des Romains. Si les auteurs de fiction y recourent, c'est d'abord pour rapprocher leurs romans des chroniques tout en leur donnant une portée spirituelle, pour les inscrire dans la durée de l'histoire humaine et rendre compte de la complexité des destinées soumises aux desseins de la Divinité.
(...)
Présentation de l'éditeur :
Composé au début du XIIIe siècle, Merlin est une uvre pionnière. Premier roman en prose de la littérature française, il est aussi le premier à rapprocher le héros de la figure de l'auteur et à concevoir le récit à la fois comme une entité autonome et comme le point central de cycles romanesques plus vastes consacrés au Graal. Il donne à la chevalerie bretonne une mission nouvelle, la quête de ce vase sacré, symbole de rédemption. Il innove également en proposant une lecture cohérente du personnage de Merlin, fils du diable sauvé par Dieu, puissant devin et magicien, conseiller des princes et prophète du Graal. Parmi la cinquantaine de manuscrits conservant ce texte, le ms. A -BnF 24394 était resté inédit jusqu'à présent. Éditée et traduite ici pour la première fois, cette copie remarquable permet de mieux mesurer les multiples richesses recélées par ce roman fondateur.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.