Extrait :
Extrait de l'introduction
Ce mot de beauté si difficile à définir en dépit de toutes les incidences des sens et des yeux.
Marguerite Yourcenar
En matière d'art, la planète Terre vit dans une contradiction grave qu'elle s'efforce de ne pas voir, mais qui s'impose dès que s'ouvre un débat sérieux.
D'un côté, en effet, les humains font reposer spontanément leurs actions artistiques sur l'intuition que l'art est une occupation autonome exigeant un type spécifique de plaisir, de beauté.
D'un autre côté, dès que les humains cherchent à définir les notions d'art et de beauté, ils se trouvent aujourd'hui devant un abîme qui les fait reculer. Récemment un professeur titulaire de la chaire de Création artistique du Collège de France commençait son cours en disant en substance que l'art ne se pouvait définir, qu'il n'était jamais là où on l'attendait, que là où il était, il ne se pouvait atteindre et qu'il allait donc parler de son oeuvre à lui. Il le fit avec brio et à la satisfaction de ses auditeurs qui ne se demandèrent jamais pourquoi il faut sur terre un «mot» pour dire une «chose» qui ne se définit pas, bien qu'elle existe puisque chacun prétend en posséder une expérience vivante.
Les actions prouvant la spécificité de l'art sont nombreuses et quotidiennes. Il y a des artistes, des métiers d'art, des écoles d'art, des lieux prestigieux pour exposer les oeuvres ou pour les représenter et des bibliothèques entières pour en raconter l'histoire et pour en explorer les contextes. L'art, il y a des circuits économiques entiers qui en vivent, des spéculateurs qui s'en enrichissent, des périodiques qui les font connaître, des journalistes qui interrogent les créateurs. Pour l'art, il y a des subventions, des résidences et même des ministères accompagnés de gens compétents qui «aident à la décision». Par l'art, il y a des carrières prestigieuses, des célébrités mondiales et enfin des gloires qui nous viennent du fond des âges. Pour ce qui est des temps anciens, il y avait aussi des artistes, des commandes, des circuits et des contextes au temps des Pyramides, des Guerriers de l'éternité ou du théâtre de l'ancienne Inde. Et si la grotte Chauvet ne nous raconte pas ce qu'il en était du temps où se peignaient ses parois, il est plus vraisemblable que cet art ait été spécifique par rapport aux activités quotidiennes de survie que le contraire !
Pourtant les affirmations semblables à celles de notre professeur au Collège de France sont nombreuses. Elles incarnent un consensus actuel : il affirme que, puisque toutes les définitions qui ont été données jusqu'à présent se contredisent, il vaut mieux abandonner la partie et fermer les yeux sur le fait troublant que la non-existence de l'art en tant que tel parmi les humains n'a pas encore été démontrée. Le grand historien d'art, Ernst Gombrich, synthétise parfaitement ce consensus dans la préface de 1997 de sa célèbre Histoire de l'art : «Disons nettement tout d'abord, qu'à la vérité, l"'art" n'a pas d'existence propre. Il n'y a que des artistes.»
Biographie de l'auteur :
Marc-Mathieu Münch est professeur émérite de littérature générale et comparée à l'université de Lorraine. La mythographie romantique qui fut sa première spécialisation comparatiste l'a conduit, par élargissements successifs, au mouvement romantique européen, au genre du théâtre, à l'histoire des poétiques et enfin à la question fondamentale, pour tout comparatiste, de la nature de l'art littéraire. Il travaille actuellement à la création d'une « artologie » générale définissant la spécificité du phénomène art en tant que tel grâce à la notion d'effet de vie.
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