Extrait :
Les loups descendirent des collines et prirent les enfants de Keelut. Le premier enfant disparut alors qu'il tirait sa luge sur les hauteurs du village. La semaine suivante, une autre fut enlevée tandis qu'elle longeait les cabanes près de l'étang gelé. Et voilà qu'au milieu des volutes blanches de l'hiver, un troisième était arraché à leur village, celui-ci sur le seuil même de sa maison. Sans un bruit - nul cri, d'homme ou de loup, pour témoin.
Toutes les femmes étaient affolées, celles qui avaient perdu leurs enfants, inconsolables. La police arriva de la ville un après-midi. Ils griffonnèrent des lignes sur des blocs-notes. Semblèrent désireux d'aider, mais ne revinrent jamais. Hommes et femmes se mirent alors à patrouiller dans les collines, à la lisière du village, fusils à la main. Les aînés eux-mêmes escortèrent les enfants, pistolets au poing, jusqu'à l'école ou l'église. Mais il ne se trouva personne pour organiser une battue au-delà des vallées et aller chasser les loups.
Le fils de Medora Slone, six ans, fut le troisième enfant enlevé. Elle raconta aux autres villageois la soirée et la nuit qu'elle avait passées, arpentant les collines et la vallée jusqu'à l'aube rougeoyante, le fusil sur le dos et, noué à la cuisse, un cran d'arrêt de vingt-cinq centimètres. La vengeance qu'elle désirait avait le goût de l'acier. Les pistes des loups s'éparpillaient sous ses yeux, se mélangeaient, pour finalement disparaître dans les flocons qui voletaient telles des plumes dans le ciel. Plusieurs fois, elle tomba à genoux dans la neige, imaginant ses larmes transformées en balles de glace ricochant sur le givre et les rochers de la falaise.
Dans sa lettre à Russell Core, trois jours pile après qu'on lui eut pris son fils, elle écrivit qu'elle n'avait pas espéré le retrouver vivant. Son sang s'étalait en une traînée dentelée de l'arrière de leur porche jusqu'aux bois clairsemés qui s'étendaient dans les collines au-dessus. Mais elle avait besoin de son corps, ou au moins de ce qu'il en restait, même si ce n'étaient que des os. C'est pour cela qu'elle écrivait à Core, disait-elle. Elle avait besoin qu'il lui rapporte les os de son fils et peut-être aussi qu'il abatte le loup qui l'avait pris. Personne dans le village ne partirait chasser les loups.
«Mon mari doit revenir de la guerre très bientôt, lui écrivait-elle. Il faut que j'aie quelque chose à lui montrer. Je ne peux pas ne pas avoir les os de Bailey. Je ne peux pas ne rien avoir.»
Une chose l'avait frappé : cette lettre arrachée à la hâte à un carnet de notes n'avait pas été souillée par les larmes.
Revue de presse :
Le premier roman traduit de l'Américain William Giraldi est une oeuvre en perpétuelle métamorphose...
Mais la force essentielle de ce roman est dans son rythme obsédant : celui du marcheur entêté qui se bat contre les éléments. Il avance d'un même pas vers une vérité qui change sans cesse, soumise aux événements, aux masques que chacun porte à son tour, mi-homme, mi-bête...
Primitif, bestial, lyrique, Aucun homme ni dieu est une inoubliable épopée blanche. (Christine Ferniot - Télérama du 7 janvier 2015)
Dans son deuxième roman Aucun homme ni dieu, l'écrivain américain William Giraldi, traduit pour la première fois en français, suit son héros au coeur des paysages de l'Alaska...
Aucun homme ni dieu ressemble d'abord à un appel, une invitation à suivre son héros, improvisé détective, dans l'immensité blanche des paysages d'Alaska, avant de verser dans le polar avec la découverte de l'innommable, des lois naturelles dans ce qu'elles représentent de plus primitif et de plus cruel. Le lecteur comprend néanmoins dès les premières pages que ce récit ne s'apparentera en rien aux enquêtes dont il a l'habitude, et l'entraînera loin, très loin des repères propres à nos civilisations, vers une rencontre de l'homme avec l'animal. Sans verser dans le traité d'écologie, ce roman peut également se lire comme une condamnation de l'influence mortifère de l'homme sur la nature, des dérèglements qu'elle engendre et qui se retourne en dernier lieu contre lui, légitime vengeance. (Laëtitia Favro - Le Journal du Dimanche du 18 janvier 2015)
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