Présentation de l'éditeur :
Dans ces temps où la sexualité infantile est déniée, suspectée, objet de toutes les vigilances, de toutes les «préventions», comment l'enfant construit-il son corps sexué ? En effet, le corps est une construction langagière du vivant, de l'organisme, ce qui le dénaturalise. Les fonctions corporelles sont surdéterminées par la relation aux adultes tutélaires ; en particulier l'enfant est sexué d'abord par la nomination de son sexe, avec laquelle il acquiert tous les attributs qui y sont associés. Garçon ou fille, ce n'est pas seulement l'anatomie qui décide mais une série d'opérations psychiques tout au long de la maturation de l'enfant. L'exemple des Inuits suffit à le prouver : est chasseur qui a été désigné tel à sa naissance et est élevé selon le sexe mâle, quel que soit son sexe anatomique. Comment cette construction s'effectue-t-elle actuellement ? Quels sont les effets de la libération sexuelle qui donne sans cesse à voir, y compris au sein des familles, aux enfants et aux adolescents des pratiques sexuelles d'adultes, les exposant ainsi à une surexcitation par ailleurs sans cesse dénoncée comme produite par l'extérieur ? Comment s'inscrivent dans ce contexte les interdits sexuels et en particulier les interdits oedipiens ? Comment dans le temps de l'adolescence le jeune homme/fille s'appropriera-t-il/elle ce corps sexué et fera-t-il /elle le choix qui orientera sa vie libidinale ? Entre l'ascétisme frileux recommandé par la prudence sanitaire, la constitution précoce de couples quasi fraternels, et/ou les pratiques violentes d'initiation sexuelle (tournantes, etc.), les adolescents vivent-ils si différemment l'étrangeté de la pulsion sexuelle ?
TABLE DES MATIERES
ÉDITORIAL
Résister
Françoise Petitot
DOSSIER : L'ENFANT ET SON SEXE
Introduction
Martine Menès
Problématiques
Sexuel de l'enfance, enfance du sexuel
Albert Nguyên
... une nouvelle place comme fille
Olivia Dauverchain
L'enfant, le sexe et la mort : que nous apprend l'anthropologie ?
Olivier Douville
Qui a peur de la sexualité des enfants ?
Nicolas Murcier, Laurent Ott
«Lolitas», du mythe à la réalité
Claude Allard
Sexualités virtuelles ?
Hubert Lisandre
On est prié de fermer les yeux...
Marie-Hélène Inglin-Routisseau
CLINIQUES, PRATIQUES
La vierge et le psychanalyste
Jean-François Solal
De l'embarras du sexe des garçons
Martine Menès
HISTOIRE
Trente ans après : «Elle n'en est pas moins une femme»
Anne Boissel
ENTRETIEN AVEC...
Les professionnelles du dispositif EVA (93)
Du côté d'EVA
Entretien réalisé par Maryvonne Barraband et Françoise Petitot
PERSPECTIVES CLINIQUES
Un jeune préadolescent en protection de l'enfance
Jacqueline Duchêne
RUBRIQUES
Bruits du monde
L'enfant virtuel et l'échographie obstétricale
Sylvain Missonnier
Enfances et handicap
Petite histoire d'un accueil parents/enfants en SESSD
Anne Liatard
Lectures
Raconter, démontrer... survivre,
Formes de savoir et de discours dans la culture contemporaine de Marilia Amorim
par Martine Menès
Raconte-moi d'où je viens de Nicole Prieur
par Martine Menès
Mehdi met du rouge à lèvres de David Dumortier
par Viviane Durand
L'adolescent face à ses actes... et aux autres
de Jean-Marie Forget
par Xavier Gassmann
La perversion ordinaire, vivre sans autrui
de Jean-Pierre Lebrun
par Françoise Petitot
L'ordre médical
de Jean-Clavreul
par Martine Menès
RÉSUMÉS ET MOTS-CLÉS
Ont participé à ce numéro : CLAUDE ALLARD - MARYVONNE BARRABAND - ANNE BOISSEL - OLIVIA DAUVERCHAIN - OLIVIER DOUVILLE - JACQUELINE DUCHENE - VIVIANE DURAND - XAVIER GASSMANN - ANNE LIATARD - HUBERT LISANDRE - MARTINE MENES - SYLVAIN MISSONNIER - NICOLAS MURCIER - ALBERT NGUYEN - LAURENT OTT - FRANCOISE PETITOT - MARIE-HELENE ROUTISSEAU - JEAN-FRANCOIS SOLAL -
Extrait :
Résister...
Françoise Petitot
«En des moments de crise, une société se reconstruit à partir de sa marge et non pas de son centre.»
Frédéric Fisbach, metteur en scène
Ainsi les jeux sont faits. Le changement de paradigmes en matière d'éducation, de santé, de prévention, de protection qui s'installait depuis quelques années s'est actualisé dans un changement politique net, et les ruptures dans les politiques sociales, éducatives, judiciaires, économiques vont se poursuivre voire s'accentuer.
Certes les dispositifs mis en place depuis de nombreuses années ont montré leurs limites, voire leur impuissance, à traiter, à contenir les difficultés sociales et éducatives auxquelles notre société est confrontée. Les enseignants sont en grande difficulté, la protection des enfants n'est pas aussi efficace que nous pourrions le souhaiter (mais souhaitons-nous tous la même chose ?), nous n'arrivons pas à enrayer la violence et la désespérance de certains jeunes (et pas seulement ceux des quartiers difficiles), nous ne savons que faire des délinquants sexuels. De nombreux dispositifs de prise en charge se délitent, faute de moyens sûrement, mais peut-être aussi en raison de l'accumulation d'injonctions administratives, légales, judiciaires, souvent contradictoires avec ce qui nous semblait jusque-là être leur objectif. Leur coût incite à les évaluer, mais les modalités de ces évaluations, calquées bien souvent sur l'évaluation managériale d'une production d'actes, ne sont pas sans effets sur les pratiques, qu'elles poussent à se techniciser.
Devant ces difficultés que certains considèrent comme des échecs, la tentation de la nostalgie, du retour aux «vraies» valeurs d'avant, ordre, discipline, mérite, est grande. Comme si l'on pouvait faire fi de l'évolution de notre société occidentale, de l'avènement de la société de consommation et de ses promesses, des effets pervers des émancipations démocratiques qui tendent à effacer la différence des sexes et des générations, instaurant un individualisme souvent féroce fondé sur la compétition et la réussite à tout prix qui mettent à mal la notion de solidarité.
Dans le même temps du côté des savoirs s'avance le comportementalisme qui mesure le psychisme aux comportements et le «génétisme» qui permettrait de repérer des déterminations physiologiques des comportements des individus, médicalisant les problématiques subjectives, les rabattant sur des symptomatologies gommant au passage les causes sociales, politiques, économiques des désordres. La prévention du risque devient prédiction du danger comme nous l'avons constaté avec le rapport de I'INSERM sur les troubles de conduites des enfants de moins de trois ans, ou avec les évaluations systématiques de risque de maltraitance chez les futures mères.
La politique du bien-être par laquelle l'État prend en charge la santé physique et mentale et la sécurité des citoyens conduit à multiplier les interdictions touchant à la vie privée et aux droits civils, instaurant un état disciplinaire qui implique un contrôle permanent du corps des individus et une normalisation de leurs conduites. L'affirmation et la multiplication des «droits individuels» de communautés, de groupes, entraînent le recours permanent au juridique, transformant un État de droit en un État «des droits» qui discipline sans fin les conduites, les actes et les paroles.
La politique sécuritaire du risque zéro, la récente «gestion des risques», l'attention portée aux victimes modifient profondément, non seulement les pratiques éducatives mais la prévention et le droit (entre autres la justice des mineurs). Il s'agit non plus d'une politique orientée vers la prévention, le traitement, la réhabilitation individualisée, mais vers la classification, la constitution de populations à risque qu'il s'agit de gérer. Toute «compréhension» sociale, économique, psychologique est considérée comme une excuse et une attitude de laxisme. «La seule entrée sociale est réductrice. Elle est à l'origine d'une culture de l'excuse sociale ou économique aux comportements délinquants» est-il écrit dans le projet de loi de la prévention de la délinquance. Quant à «l'entrée psychologique», elle ne saurait bien entendu faire partie d'une politique de prévention sinon à pathologiser des comportements, à établir des normes, à mettre en place des procédures pour dépister, étiqueter des populations qu'il conviendra ensuite de traiter.
Ceci n'est pas propre à la France mais au monde occidental et nous pouvons en constater les effets dans la société américaine par exemple. Nous sommes quant à nous dans un temps où coexistent d'une part des pratiques et des idéaux liés à la prise en charge et au traitement individuel des personnes en difficulté et d'autre part une politique de bonne gestion de la santé publique et de la sécurité des populations.
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