Extrait :
Extrait du prologue :
Lorsque, à la fin de l'été 1995, Pierre Fédida acceptait de publier La preuve par la parole dans la collection «Psychopathologie» qu'il dirigeait aux PUF, la psychanalyse occupait en France une place majeure dans la culture et constituait un référentiel incontestable des pratiques du soin psychique. Son influence en psychiatrie commençait à se réduire sérieusement dans les formations universitaires de cette spécialité médicale. Les professeurs de psychiatrie et de pédopsychiatrie se recrutaient toujours plus sur la base de publications dites «scientifiques» que sur l'aura de leurs connaissances psychopathologiques ou le prestige des grandes traditions cliniques. Progressivement et insidieusement le paysage de la psychiatrie se modifiait au profit d'une santé mentale recomposée à partir du DSM III (1980) puis du DSM IV (1990). Cette recomposition de la psychiatrie assurait un retour vers une «médicalisation de la déviance» participant à une culture sécuritaire de l'évaluation généralisée des conduites, favorisant un rationalisme économique des actes de soin et apportant une légitimité formelle aux dispositifs d'assurances sociales et aux expertises médico-légales.
Cette psychiatrie postmoderne s'était imposée massivement dans les pays anglo-saxons et commençait à étendre à l'infini son emprise sur le monde occidental en contrôlant les publications, les recherches et les formations sur la base desquelles peut se reconnaître une «communauté scientifique».
Cette révolution postmoderne de la psychiatrie n'avait pas été le fait de grandes découvertes scientifiques, d'inventions géniales, de faits nouveaux paradigmatiques, d'un système théorique ou d'une heuristique novateurs, mais procédait de la volonté politique et rhétorique de promoteurs pragmatiques, positivistes et habiles à prendre le contrôle de la puissante APA (American Psychiatrie Association). Comme l'écrivent Kirk et Kutchins (1992, p. 28) : «Les promoteurs de cette révolution étaient d'insipides officiels d'agences gouvernementales, d'associations professionnelles et de centres universitaires, dont les motifs étaient plus bureaucratiques et politiques que scientifiques.»
La suppression de l'internat en psychiatrie et celle de la formation spécifique du personnel soignant des institutions psychiatriques n'avaient pas encore produit leurs effets. La psychanalyse et la clinique psychopathologique dont elle prolongeait l'héritage irradiaient de manière vive et intense les pratiques libérales et publiques des psychiatres et des psychologues cliniciens. Mais ce retour de la psychiatrie universitaire dans le giron de la médecine ne s'accomplissait pas de manière homogène puisqu'en pédopsychiatrie, le référentiel psychanalytique gardait encore une certaine vigueur. Contrairement à la pédopsychiatrie américaine, les praticiens français manifestaient quelque répugnance à prescrire des psychotropes aux enfants et aux adolescents.
Pour certains psychanalystes, ce retour de la psychiatrie dans le giron de la médecine ne faisait que confirmer leur croyance à une résistance supposée endémique de la psychopathologie à la psychanalyse. Ils y voyaient la confirmation d'une opposition de structure entre le savoir clinique, les pratiques de soin de la psychopathologie et l'invention de la méthode freudienne.
D'aucuns proclament encore aujourd'hui que le pire est meilleur que le mieux et que plus on éloigne les formations et les pratiques cliniques de la psychanalyse, plus on préserve le tranchant de sa découverte. À adopter la posture d'Antigone, une telle politique épistémologique et institutionnelle fait le jeu de Créon.
Présentation de l'éditeur :
À quelles conditions la psychanalyse, définie ici comme la mise en oeuvre d'une méthode dans une pratique clinique, peut-elle prétendre à la connaissance scientifique, sans renoncer pour autant à la spécificité de sa démarche ? À quelles conditions la psychanalyse risque-t-elle de se dégrader en conception du monde, en idéologie et en rhétorique d'influence ? L'auteur montre comment, dans l'histoire du mouvement psychanalytique, Freud et ses disciples ont été «roussis au feu du transfert», transfert que les conditions particulières de la méthode produisent. Ces relations passionnelles naissent de l'usage particulier que la psychanalyse fait du langage et de la parole, de leur pouvoir de révélation et de leur fonction symbolique. Pouvoir et fonction que les sciences actuelles tentent de récuser en «naturalisant» l'humain et en destituant la «preuve par la parole».
Dix ans après la première publication de l'ouvrage, cette édition augmentée d'un prologue précise qu'aujourd'hui, ce ne sont pas les conditions de validité épistémologique de la psychanalyse qui la menacent mais plus encore les conditions sociales de sa mise en oeuvre.
Roland Gori est professeur de psychopathologie clinique à l'université d'Aix-Marseille I, psychanalyste, membre d'Espace analytique et président du SIUEERPP (Séminaire inter-universitaire européen d'enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse).
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.