Extrait :
Extrait de l'introduction
Lire Dé-lire : les facteurs inconscients dans la lecture
Tous les mots parlent d'une histoire.
(Charles C., 10 ans)
Le psychanalyste, lecteur et traducteur de Freud, James Strachey, se demandait, dès 1930% quelle pouvait être l'importance des fonctions de l'écriture et de la lecture dans l'économie psychique. Certes, expliquait-il, ces activités sont encore restreintes à un nombre limité d'individus dans le monde, mais en Occident, à l'exception des Incas, toutes les sociétés «hautement organisées» ont pratiqué l'écriture. Une civilisation ne pourrait-elle pas d'ailleurs se juger par son nombre d'illettrés, se demande-t-il avant de conclure : en effet la lecture a dû jouer «un rôle considérable dans la vie mentale profonde de l'humanité» (p. 322). Ainsi, dans l'enfance ou plus tard dans l'apprentissage d'une langue étrangère, ne vient-elle pas avant l'écriture ? Après l'acquisition «instinctive» de la parole, la lecture est en fait la première activité intellectuelle qui fasse l'objet d'un «enseignement systématique» ? Dans le temps anthropologique comme dans le temps phylogénétique, il semble bien pour Strachey que l'advenue à la lecture prenne, pour un peuple et pour un individu, la dimension d'une véritable coupure épistémologique : il y aurait un avant et un après la lecture sans retour possible en arrière. Même si l'article est un peu brouillon, c'est bien une anthropologie psychanalytique de la lecture (et de l'écriture) qu'ouvrent, par leur empan, les remarques de Strachey, un territoire de questionnement dont le coeur peut aujourd'hui, à l'orée de cet ouvrage, s'actualiser d'abord par une thèse : le sujet (de la science et de la psychanalyse) est le produit d'une culture alphabétique, un sujet à la lettre ; suivie de ces hypothèses : si on aborde «l'illettrisme», les pathologies de la lecture, comme un symptôme, un trouble de la sublimation, les enfants non lecteurs (15 % d'irréductibles qui font vraiment couler beaucoup d'encre !) peuvent-ils à rebours nous éclairer par leur refus inconscient sur la nature métapsychologique du plaisir de la lecture et de l'écriture ?
Présentation de l'éditeur :
La psychanalyse nous a appris que le sujet est le produit d'une culture alphabétique, un sujet à la lettre. Aborder «l'illettrisme» comme un symptôme plutôt que comme une maladie nous éclaire sur le refus inconscient des enfants non lecteurs (15% d'irréductibles qui font vraiment couler beaucoup d'encre !), mais aussi sur la nature psychologique du plaisir de la lecture.
Devenir lecteur, c'est aussi advenir, pour l'enfant, à la dernière initiation : il doit en effet admettre que la lettre n'est pas un dessin de chose, que la signification n'est pas magique mais se construit à rebours, à la fin de la phrase, qu'il faut travailler avec le matériau de l'écrit pour pouvoir un jour, refouler l'alphabet pour ne plus voir que le sens.
Ce qu'on retrouve dans le plaisir de la lecture, n'est-ce pas le lieu d'une origine, d'une régression vers le paradis de la langue maternelle, là où le mot convoquait la chose ? La «page vierge» de l'écrivain n'est-elle pas ce territoire fantasmatique perdu où on peut faire comme si... le langage redevenait formule magique, celui de la bonne fée qui, d'un coup de plume, créerait le monde, le moi et son objet de désir ? C'est là notre dé-lire : faire comme si les mots étaient des pictogrammes empreints de la valeur sacrée ou des maléfices de notre subjectivité. Cette théorie erronée de l'écrit est une solution onirique partagée par les non-lecteurs et les écrivains... mais aussi les sujets de culture alphabétique que nous sommes. Elle est le lieu de naissance de la littérature.
Anne-Marie Picard enseigne la psychanalyse et la littérature française à l'université américaine de Paris.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.