L'instant de dire: Le mythe individuel du malade dans la médecine moderne - Couverture souple

Del Volgo, Marie-José

Couverture souple

ISBN 10 : 2749232198 ISBN 13 : 9782749232195

Editeur : ERES, 2012

A propos du livre

Extrait :

Pauline, ou «une incontinence particulière»

«Hans à Ondine :
Depuis que tu es partie, tout ce que mon corps faisait de lui-même, il faut que je le lui ordonne. Je ne vois que si je dis à mes yeux de voir. Je ne vois le gazon vert que si je dis à mes yeux de le voir vert. Si tu crois que c'est gai le gazon noir !...
C'est une tendance exténuante. J'ai à commander à cinq sens, à trente muscles, à mes os eux-mêmes. Un moment d'inattention, et j'oublierai d'entendre, de respirer... Il est mort parce que respirer l'embêtait, dira-t-on... Il est mort d'amour.»
Jean Giraudoux

Pauline, la cinquantaine, est habillée de rouge et le visage est fardé de vert, de rouge et de noir. Grande et forte, son allure est impressionnante. Elle dira au cours de l'entretien qu'«elle a les épaules larges». Malgré cette apparence théâtrale et la rigidité discursive qu'elle manifeste tout au long de notre rencontre, elle pleurera à plusieurs reprises laissant, en quelque sorte, tomber un masque. Pauline est hospitalisée pour un enregistrement du sommeil et c'est dans le cadre d'un bilan d'un syndrome d'apnée du sommeil que le service l'adresse à ma consultation d'exploration respiratoire dans le même hôpital.
«Pauline a toujours ronflé», cette symptomatologie était un grand sujet d'amusement pour son mari et son fils Michel. Plusieurs années auparavant, ils lui avaient fait, tous deux, écouter un enregistrement des ronflements et ils en avaient beaucoup ri, cruellement. Par contre l'an dernier, des apnées ont été détectées, «La nuit, [elle s'] arrêtait cent cinquante fois de respirer» et «depuis, elle a un appareil à la maison», «elle dort avec». Elle décrit tout d'abord le changement de symptomatologie : une fatigue, une somnolence diurne qui ont conduit au diagnostic de la maladie et elle se trouve grandement améliorée depuis qu'elle est «appareillée».
Une quinzaine de minutes environ après le début de l'entretien et alors que Pauline pleure en évoquant son impuissance devant les malheurs qui s'abattent sur elle : «Je ne peux pas changer la situation [...], je subis [...]», elle dit à propos de ses apnées : «A l'heure actuelle, je m'oublie complètement.» Ces mots peuvent a priori surprendre car ils désignent bien plus une incontinence que des arrêts respiratoires. Hans, le chevalier amoureux d'Ondine ne s'oubliait pas mais oubliait de respirer, comme le voulait la malédiction.
A propos de ses difficultés de sommeil, je lui demande si elle rêve, si elle fait des cauchemars. Elle répond qu'elle fait «cauchemar sur cauchemar». En fait, elle n'emploiera jamais le mot «rêve». Par contre, elle enchaîne immédiatement sur les difficultés de sa vie : «J'ai tellement de problèmes, de difficultés. Je passerai une semaine à vous les raconter.» Les cauchemars de la nuit elle ne s'en souvient pas, «elle ne peut pas les raconter», par contre elle fait le récit d'une vie aux allures cauchemardesques : «Le sort s'acharne sur nous. On fait peur et on ne voit plus personne.»
Reprenons les «événements» dans un ordre chronologique historique et non tels qu'ils se révèlent chronologiquement au cours de l'entretien. Sur son enfance, elle ne dit presque rien si ce n'est qu'elle appartient à une fratrie de cinq frères et soeurs. Son «cauchemar», son «souci», c'est ce fils âgé de plus de 20 ans maintenant. «Il est né avec une malformation congénitale. Une maladie de Hirschprung, un mégacôlon [diagnostiqué] quelques jours après sa naissance. [....] A dix-huit mois, il a eu un anus iliaque.» Blessure anatomo-narcissique pour lui et narcissique pour elle, qui l'a fait souffrir et la fait toujours souffrir.

Présentation de l'éditeur :

L'instant de dire est un dispositif de travail psychanalytique mis en oeuvre dans des consultations spécialisées de médecine comme dans des lieux aussi insolites que les urgences à l'hôpital, les services de radiologie ou les soins palliatifs. Marie-José Del Volgo en a développé la pratique depuis de longues années et témoigne de cette expérience où, sans renoncer à une médecine technoscientifique prenant en charge efficacement la maladie, elle écoute et accueille la parole vive des patients qui la consultent pour une exploration respiratoire. Elle montre comment une brève rencontre peut être pour le patient ce moment propice pour une construction mythique individuelle qui rend possible son efficacité thérapeutique.

Toutefois, cet «instant» n'a pas vocation à devenir une pièce dans les protocoles standardisés des actes de soin. Il relève plutôt d'une position à la fois éthique par rapport à un autrui vulnérable mais aussi politique face à la logique néolibérale qui prévaut aujourd'hui dans les établissements de santé.

Praticien hospitalier à l'Hôpital Nord de Marseille et maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille, Marie-José Del Volgo conduit parallèlement à son activité médicale des recherches et des pratiques cliniques dans le champ de la psychopathologie et de la psychanalyse. Après avoir soutenu une thèse de neurosciences en 1988, puis de psychopathologie en 1995 et une habilitation à diriger des recherches en 2000 à l'université Paris 7, elle dirige depuis 2001 des recherches et des thèses à l'interface de la médecine et de la psychanalyse.

Préface à l'édition de poche de Roland Gori (2012) suivie de sa préface originale (1997).

À propos de cette édition

• Éditeur: ERES
• Date d'édition: 2012
• ISBN 10: 2749232198
• ISBN 13: 9782749232195
• Reliure: Poche
• Nombre de pages: 296