Extrait :
FAILLES IDENTITAIRES ET PHÉNOMÈNES D'EMPRISE :
L'APPORT DU TRAVAIL PSYCHANALYTIQUE
JEAN-GEORGES LEMAIRE
Le travail psychanalytique approfondi appliqué au couple apporte d'abord nombre d'observations spécifiques concernant la participation du narcissisme dans la construction identitaire et notamment une dimension identitaire qu'il faut attribuer au nous, première personne du pluriel. Certains troubles peuvent frôler la pathologie classique, tandis que d'autres ont une expression comportementale ou psychique, marginales peut-être, mais d'une grande fréquence et à ce titre vulgarisées et recouvertes de rationalisations masquant leur nature de troubles identitaires.
Ces phénomènes peuvent alors conduire à des interrogations plus générales d'ordre à la fois théorique et technique concernant le corpus psychanalytique dans son ensemble. Mais nous introduirons d'abord les troubles identitaires par une brève évocation de la caricature qu'en apporte la pathologie psychiatrique. Elle est évidente au cours de certaines psychoses délirantes, amorcées par un syndrome de «dépersonnalisation», avec son angoisse massive insupportable, parfois mortelle. Plus ou moins brusquement, le sujet est envahi par un doute, puis par la conviction qu'il n'est plus lui-même, que sa personnalité s'évanouit, qu'on lui enlève ou vole sa propre pensée, attribuée à d'autres ; il est envahi de pensées étrangères, de voix, ou d'images s'imposant à lui, remplaçant ses propres pensées, tandis que c'est sa propre pensée qu'«on» entend répéter partout et qui parle au monde. En même temps, il est persuadé que son corps aussi se transforme : il ne le reconnaît plus, ce n'est plus lui. Autour de lui, l'ambiance et le monde aussi semblent se transformer. Le délire se construira ensuite avec l'impression d'être devenu le centre de ce monde étrange entièrement transformé.
D'autres fois heureusement, le trouble identitaire est moins complet : au cours des «états-limites», s'observe parfois une faille identitaire, accompagnée d'une angoisse diffuse, avec un sentiment d'intrusion ; ou ailleurs un état décrit par Laing en terme «d'insécurité ontologique», de «moi divisé». À côté de ces formes où se manifeste une pathologie ou une fragilité psychique interne plus ou moins indépendante du contexte, on observe, plus souvent de manière plus discrète, les traces de troubles identitaires liés à un contexte, à un travail stressant, harcelant, à une famille, notamment à une relation de couple. Schématiquement, on peut définir trois champs principaux distincts :
- dans l'enfance, où l'identité en construction s'affiche par des «non» ou refus, surprenants et passagers, adressés aux proches quand ils se font tendrement trop proches ;
- à l'adolescence, où apparaît souvent une «violence» comme comportement narcissique de défense de l'identité, à but «anti-objectal» (Jeammet) ;
- enfin au cours de la passion amoureuse : c'est-à-dire quand l'amoureux se déprend, de soi ou d'une part de soi, sur un mode anti-narcissique, notamment en faveur de son couple narcissiquement très investi : l'aspect affiché, sinon conscient, en est le «besoin d'objet d'amour» ou un simple «désir», lesquels mettent en cause certains aspects de la solidité identitaire apparente du sujet, une certaine «image de soi» ou une «estime de soi». Les certitudes identitaires habituelles y sont parfois menacées, non par l'abandon du partenaire, mais au contraire par son amour envahissant, «captivant» à travers des formes plus ou moins fusionnelles sinon intrusives. Sans en être du tout conscient, le sujet sent les frontières de son Moi se perdre dans un nous présentifié par l'alter égo aimant et aimé ; il tente d'exister psychiquement, mais est comme menacé par un plaisir attrayant, fusionnel ou orgasmique, qu'il vit en cet autre. Brusquement parfois, il ressent le besoin à tout prix de se restaurer d'urgence, d'éprouver fut-ce agressivement le sentiment de son autonomie, de son identité, voire de son existence. Dans une absence de limite, soit comme «aimant», soit comme «aimé», là où se perdent ainsi les limites entre aimer et être aimé, une sorte de menace existentielle se présentifié, parfois sous la forme d'une d'angoisse primaire, ayant une parenté étroite avec une angoisse de mort. Une mort psychique. La fameuse «petite mort» de l'orgasme en est une expression, voluptueuse, mais tout à la fois très désirée et redoutable.
Le je se perd dans le nous. Le je s'en remet-il, s'en remettra-t-il ? Ou comment, le plus souvent, s'en remet-il ?
(...)
Présentation de l'éditeur :
Le développement d'applications cliniques de la psychanalyse à différents champs sociaux a conduit à des interrogations nouvelles sur les notions de cadre pour tenter de traiter des problématiques spécifiques telles que celles des liens de couple, de famille, de groupe et d'institution.
L'opposition des dimensions libidinales et narcissiques qui convergent constamment dans la problématique des couples, se trouve questionnée dans tous les espaces analytiques, qu'il s'agisse de thérapie de couple de thérapie de famille ou de thérapie de groupe.
Des problèmes pratiques, solutions concrètes liées à des circonstances particulières, ou plus généralement méthodologiques, ainsi que des approches plus théoriques déjà classiques, seront reprises dans ce numéro. Quelques illustrations concernant l'économie du couple dans le travail groupal en thérapie de couple et en thérapie de groupe permettront une approche différenciée de la constitution d'un couple et de sa dynamique. Comment la conflictualité comme moteur du fonctionnement psychique peut s'exprimer et se traiter dans la situation du groupe notamment dans ses modalités «conjuguées» à celles du partenaire du couple.
Coordination : Jacqueline FALGUIÈRE - Jean-Jacques LEMAIRE - Philippe ROBERT
Ont participé à ce numéro : Françoise AUBERTEL - Cristelle AVELINES - Pierre BENGHOZI - Jean-Louis BERATTO - Jean-Bernard CHAPELIER - Bernard CHOUVIER - François COUDRET - Maria Lucia DE SOUZA CAMPOS PAIVA - Alain DUBOIS - Michelle DUBOST - Guy GIMENEZ - Isabel Cristina GOMES - Rosa JAITIN - Isabelle LAMBERT - Claudio NERI - Guillaume POUPARD - Muriel SOULIE -
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