Extrait :
Extrait de l'avant-propos d'Anna Feissel-Leibovici
L'idée de ce colloque m'est venue, en 2004, sous l'irruption d'un Einfall : en quelques instants, tout me «tomba dedans», et c'était ça ; le titre vint d'abord, les thèmes avec les noms des possibles intervenants suivirent dans la même évidence. C'est assez singulier pour que j'évoque cette dimension de légèreté dont la touche resta posée sur ces rencontres.
Avec non moins de spontanéité, le Mouvement Insistance accueillit mon projet dans une confiance dont je dois ici, sans plus tarder, remercier ses membres fondateurs.J'avais donc une adresse, un lieu où j'avais pu faire l'expérience que psychanalystes et artistes se parlent à l'abri de toute tentation de donner dans la langue de bois, un lieu où il était possible de lancer un mot aussi difficile à prononcer qu'à traduire, Hilflosigkeit, et d'espérer que ça réponde, dans l'écart entre les deux langues et la diversité des disciplines représentées parmi nous.
J'avais également une autre adresse de travail et d'amitié, plus privée, en la personne d'Anne Minthe ; comme moi, elle se sentait un peu chez elle dans les paysages mentaux de l'hilflos, escarpés et parfois désolés. Entre nous deux, la préparation du colloque prit la forme d'une conversation ininterrompue. Un peu comme les lettrés chinois assis sur leur rocher pour mieux se livrer au plaisir de débattre devant la nature, nous changions de falaise au gré des textes abordés dans la promenade. J'ai ainsi bénéficié de cette qualité de liberté qui contribue à déjouer les écueils de la censure et du Surmoi dont les jeux de l'invention sont la pâture de choix. Cela se traduisit, entre autres, par un fait qui mérite lui aussi d'être mentionné : pour ce colloque, rien ne répondit à des convenances institutionnelles, et tout à la seule imprégnation de lectures menées pendant plusieurs années, venues soudain se regrouper pour moi autour d'un mot de la langue allemande que Freud rendit à son sens premier, poétique et insistant. Il s'en dégagea un petit air frais dès la première soirée, dont nous ne cessâmes pas de ressentir les bienfaits au cours des deux jours qui suivirent. Sept ans nous séparent de ce périple en hilflosland. Il est là, nous sommes ici. Pour nombre d'entre nous, il a pu s'approfondir et nous avons écouté différemment ; nos souvenirs sont restés vifs ; mais toutes ces raisons ajoutées aux divers obstacles rencontrés à la publication de ces Actes n'ont pas été suffisantes pour venir à bout d'une volonté de recueillir une trace écrite de ce qui s'est dit lors de ces journées et de la mettre à l'abri.
Présentation de l'éditeur :
Freud a reconnu dans la détresse une expérience incontournable et inhérente à la condition humaine, expérience d'être jeté dans l'étranger, dans une dépendance absolue à l'Autre et confronté à l'énigme de son désir. Pour désigner ce qui s'avère être un véritable acte de naissance du sujet, Freud a recouru à un terme de l'allemand courant, Hilflosigkeit, sans en faire un concept. Avec Lacan, la dimension tragique de ce passage primordial se trouve accentuée d'être mise en perspective avec la fin de l'analyse. Aussi fréquente que soit la détresse, dans les situations les plus extrêmes de la vie comme dans la répétition transférentielle, elle a cette propriété très particulière de donner lieu à certains renversements : avec l'Hilflosigkeit, contre toute attente, la déréliction peut se muer en béatitude, voire en extase ; les frontières entre l'intérieur et l'extérieur s'estompent, laissant place à ce qui pourrait s'appeler une relation intime avec le réel. Des champs aussi divers que ceux de la mystique, de la perversion et de l'art prennent ces états pour socle. En ce point où, comme l'écrit Rilke, «ce qui nous abrite à la fin, c'est l'insécurité de notre être», s'abolit un certain mode de pensée des contraires ordinairement régi par la dualité. La sublimation ne procède-t-elle pas de cette opération d'abolition qui rend caduques certaines oppositions, comme celle du bien et du mal, du beau et du laid ?
De déliaison en déliaison, se profile une position orpheline où se jouent les destins paradoxaux de la rencontre avec le sans fond : consentir à ce risque, s'y exposer, c'est pouvoir prendre appui sur le vide, du côté de la création, notamment de l'écriture. Y être exposé serait encourir le risque d'être perdu. Entre ces deux à-pics s'ouvre l'écart acrobatique que l'artiste tenterait de maintenir. «Il était seul. Il était abandonné, heureux, près du coeur sauvage de la vie.» (James Joyce)
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