Extrait :
Extrait de l'avant-propos de Daniel Faivre
Assembler des spécialistes pour discuter de la mort peut relever de la supercherie. Car personne, dans ce domaine, ne saurait se prévaloir d'une quelconque spécialité. Seuls seraient autorisés à revendiquer une once de compétence les quelque cent milliards d'êtres humains qui nous ont précédés et qui ont effectué, par eux-mêmes, l'expérience de leur propre anéantissement. Mais ils restent murés dans les silences du tombeau. Leur substance est retournée à la matrice de l'humanité, livrée aux oiseaux, aux flammes, aux fleuves ou à la terre, selon les croyances de ceux qui leur ont provisoirement survécu. C'est de cette même substance que nous sommes partiellement façonnés mais elle ne nous apprend rien. Souvenons-nous simplement d'Épicure : «Tant que nous sommes, la mort n'est pas là et une fois que la mort est là, nous ne sommes plus.»
Disserter sur «la» mort, c'est donc être fatalement amené à s'accouder sur sa propre mort, c'est laisser venir sur sa nuque, même sans le vouloir, le souffle froid de la Faucheuse, la Camarde, l'Ankou. C'est faire l'expérience d'une nuit inquiète, quand l'insomnie émiette le temps en parcelles d'éternité et que le sommeil même cesse d'être un refuge. C'est convoquer ses défunts et parler à leur place.
Parler de la mort, c'est donc s'exposer à un danger dont on ne mesure pas toujours la présence : risque de laisser ses affects prendre le pas sur son intellect, risque de donner aux velléités volontaristes de son raisonnement les oripeaux de la rationalité, risque, enfin, plus prosaïquement, de se fier aux apparences.
Car cette question si singulière, de la mort - singulière aussi dans sa pluralité, si l'on nous permet cet oxymore - possède deux versants complémentaires, quoique souvent contradictoires : bien sûr, mourir est, de toute évidence, un acte éminemment individuel, un face-à-face avec soi-même dans lequel nul ne peut s'interposer et qui se termine mal. Mais le «mourir» et, surtout, l'immédiat «après-mourir» appartiennent également à la communauté de ceux qui restent et par qui l'histoire doit continuer. Il s'agit d'une forme de transmission et, en cela, le décès devrait faire l'objet de la même sollicitation que la naissance.
Naître revêt, en effet, ce même double caractère individuel et collectif : individuel parce qu'un nouvel être s'éveille et commence son histoire ; collectif parce que la société se doit de l'accueillir, sous peine qu'il ne meure. Elle se nourrira plus tard de sa présence, avant de déplorer sa disparition. Les institutions politiques de tous les régimes, même les plus corrompus, ne s'y sont d'ailleurs jamais trompées en faisant de la grossesse et de la naissance un parcours socialement assisté. Aujourd'hui encore, où le néolibéralisme traque le service public jusque dans ces derniers bastions, la gratuité des gestes entourant la gestation et la naissance demeure une règle fondamentale.
Présentation de l'éditeur :
La question si singulière de la mort - singulière aussi dans sa pluralité - possède deux versants complémentaires, quoique souvent contradictoires : bien sûr, mourir est, de toute évidence, un acte éminemment individuel, un face-à-face avec soi-même dans lequel nul ne peut s'interposer. Mais le «mourir» et, surtout, l'immédiat «après-mourir» appartiennent également à la communauté de ceux qui restent et par qui l'histoire doit continuer. Il s'agit d'une forme de transmission et, en cela, le décès devrait faire l'objet de la même sollicitude que la naissance.
Pourtant, la mort se trouve repoussée chaque jour davantage dans les confins individuels des comportements humains. Or, c'est oublier qu'une fois mort, l'homme ne s'appartient plus. Ainsi, les grands débats sur le suicide assisté l'euthanasie, sur la crémation ou l'inhumation, sur une forme de cérémonie religieuse ou républicaine... ne peuvent-ils être ramenés à un simple choix individuel.
Les auteurs, réunis à l'occasion d'un séminaire au centre universitaire catholique de Bourgogne, tentent de penser la mort, de la mettre en questions, de l'apprivoiser peut-être... à partir de leurs réflexions de chercheurs, de leurs pratiques professionnelles et de l'analyse des attitudes anciennes ou contemporaines sur lesquelles se fonde notre humanité.
Daniel Faivre est historien des religions, directeur de recherches au centre universitaire catholique de Bourgogne.
Avec la participation de : Ghaleb Bencheikh, Dominique Bernard-Faivre, Thierry Collaud, Gérard Gobry, Jean Lamblot, Pierre Lecompte, Laure Nison, René Nouailhat, Pierre Ognier, Pierre Paroz, Jean-Luc Pétry, Aimé Randrian.
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