Extrait :
Extrait de l'introduction
Respecter la personne dans sa dignité et ses droits
UNE CERTAINE IDÉE DU VIVRE-ENSEMBLE
«Arnaud est totalement paralysé et ne peut communiquer que par le battement de ses paupières. Depuis très longtemps, il me décrit sa vie comme insupportable. Son "scaphandre", pour reprendre cette image maintenant célèbre, reste trop dur à porter. Très souvent, il nous a expliqué ce qui lui causait le plus de souffrance : être une charge pour sa famille. Bien entendu, il a le devoir de vivre pour elle, mais cela le remplit d'une douleur et d'un désespoir à le faire hurler. Il a "écrit" une lettre dans laquelle il demande : "À quoi je sers ? Je suis à l'hôpital et ma femme vient me voir tous les quinze jours comme si nous étions divorcés..." Il demande de choisir, veut parler de la possibilité de mourir... Certaines personnes parviennent à survivre par la seule force de leur esprit. D'autres ne le peuvent pas. Nous en parlons ouvertement : c'est la première chose à faire, en parler avec le patient. Lui dire ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Je comprends parfaitement le désir d'Arnaud, et il comprend aussi qu'il me serait difficile, dans le secret et la solitude, d'accéder à son désir. Autant, dans un moment de souffrance extrême, dans un moment de détresse, aider une personne à ne plus souffrir, à mourir, est concevable. Autant il s'agit d'une décision qui, à froid, fait peur et s'avère complexe. Avec des patients comme lui, nous avons trouvé le moyen d'en parler efficacement. Nous avons engagé un combat pour qu'en France, l'assistance à la mort soit possible. Il importerait de reconnaître le droit d'une personne, à ce point atteinte par la maladie, de mettre fin à ses jours en bénéficiant d'une aide, dès lors qu'elle ne peut pas accomplir ce geste elle-même. Il faut aussi pouvoir affronter cette question sans honte, parce que la honte, pour le patient, intervient dans cette affaire. Et bien sûr avec toutes les garanties nécessaires. Dans le cas d'Arnaud, son corps ne lui apparaît plus que comme une machinerie qui apporte à son cerveau l'oxygène et le glucose indispensables à sa survie. À part cela, ce corps ne sert plus à grand-chose, sinon à souffrir ! Reste l'esprit. Mais peut-on vivre avec son seul esprit ? Arnaud nous dit qu'il n'y parvient pas, que c'est trop dur... Il est devenu grabataire, il le sait. On se doit de lui dire la vérité, même si elle est à ce point dramatique. Dans ces domaines, on constate beaucoup de tabous et d'hypocrisies. Il me semble indispensable de dire les choses dans la vérité, la clarté, avec une vision lucide du temps à venir.»
Témoignage parmi tant d'autres recueillis depuis des années dans ces services hospitaliers situés à l'écart des controverses passionnées, à l'abri, comme s'il convenait de préserver ainsi, dans sa simplicité même, une parole vraie. Ils ponctueront mon propos et le ramèneront à des réalités humaines et sociales qu'on ne saurait travestir, sans qu'il soit pour autant besoin de les commenter ou de les interpréter pour en tirer les arguments qui renforceraient une opinion réfractaire aux débats et aux arbitrages d'aujourd'hui. Dans leur nudité et leur fragilité même, ces paroles nous interpellent et parfois nous déroutent. C'est ainsi que j'envisage ma démarche, soucieux de maintenir l'exigence du questionnement et de contribuer à des avancées justes dont la légitimité et l'acceptabilité tiennent à la rigueur d'une concertation démocratique. Elle s'inscrit dans la continuité d'une réflexion dont j'avais énoncé les principaux repères et développé certaines considérations dans un livre, en 2008 : Apprendre à mourir. (...)
Présentation de l'éditeur :
Suite à la concertation nationale engagée par François Hollande, le parlement aura à décider prochainement de la légalisation ou de la dépénalisation possible de l'assistance médicalisée au suicide ou de l'euthanasie. Pour cela, il lui faudra répondre à la question posée par le président de la République au Comité consultatif national d'éthique : «Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?»
Ce Manifeste pour une fin de vie dans la dignité reprend les temps forts d'une réflexion qui, après des années de débats mais aussi de controverses, semble aboutir aujourd'hui à des choix politiques difficiles mais nécessaires. Ces décisions bouleverseront des valeurs et des repères considérés jusqu'alors intangibles, et poseront en des termes nouveaux nos devoirs d'humanité et nos solidarités auprès de la personne qui va mourir.
Emmanuel Hirsch interroge et analyse, en s'appuyant sur de nombreux témoignages, cette mutation sociétale profonde, afin d'en mieux saisir les significations et les conséquences.
Professeur des universités, Emmanuel Hirsch est directeur de l'Espace éthique Assistance publique - hôpitaux de Paris, de l'Espace national de réflexion éthique sur la maladie d'Alzheimer et du département de recherche en éthique de l'université Paris Sud.
Préface de Sylvain Pourchet, médecin responsable de l'unité de soins palliatifs, hôpital Paul-Brousse, AP-HP.
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