Extrait :
Scènes squizoanalytiques en Argentine et en Uruguay
«Mon idéal, quand j'écris sur un auteur, ce serait de ne rien écrire qui pourrait l'affecter de tristesse, ou, s'il est mort, qui le fasse pleurer dans sa tombe : penser à l'auteur sur lequel on écrit. Penser à lui si fort qu'il ne puisse plus être un objet, et qu'on ne puisse pas non plus s'identifier à lui. Éviter la double ignominie du savant et du familier. Rapporter à cet auteur un peu de cette joie, de cette force, de cette vie amoureuse et politique, qu'il a su donner, inventer. Tant d'écrivains morts ont dû pleurer de ce qu'on écrivait sur eux».
Ces mots de Gilles Deleuze, consacrés à Kafka, pourraient faite office de prélude à ce petit journal de voyage où se mêleront la présentation du livre Félix Guattari. Los ecos delpensar - Entrefilosofia, arte y clinica, et l'évocation de rencontres avec une partie de la scène squizoanalytique et squizodramatique de Montevideo et Buenos Aires.
Félix Guattari. Los ecos del pensar est une oeuvre polyphonique réunissant des auteurs d'Argentine, d'Australie, du Brésil, d'Espagne, de France, d'Angleterre, d'Uruguay, qui écrivent soit en leur nom propre, soit à l'intérieur de collectifs théoriques et pratiques. Le livre a été publié en 2012, l'année du 20e anniversaire de la disparition de Guattati. La question qui le traverse : comment continuer à penser et à nous impliquer dans ce qui nous arrive (en philosophie, en politique, dans la clinique, dans l'art), à partir de l'héritage, avec les résonances de la pensée et de la praxis de Félix Guattari ? On pourrait dire que ce livre fonctionne comme une plateforme guattatienne d'expérimentation, croisant diverses géographies, différents styles, différentes époques, des témoignages, des interventions micropolitiques (Londres), des oeuvres théâtrales qui voyagent à travers le monde et sont toujours sur le point de faire naufrage.
Si nous sommes devant une oeuvre qui n'attend pas d'être archivée sur une étagère ni d'être citée ici ou là à l'intérieur d'articles «bien-pensants», si Félix Guattari est un nom qui permet que quelque chose advienne, alors : comment s'y prendre pour que son oeuvre ne perde pas son potentiel de prolifération au profit d'un simple portrait figé ? Comment faire en sorte qu'un livre terminé et publié soit un instrument réel, pratique, capable de dynamiser des expériences actuellement en cours ?
Il est possible que toutes ces questions demeurent sans réponse, excluent une réponse qui fonctionnerait comme norme. Peut-être s'agit-il de penser en se référant à la formulation écrite par Deleuze et Guattari pour définir la schizoanalyse : «pas de méthode, pas de règles ni de recettes, mais seulement une longue préparation». Pour cette raison, les activités que nous avons mises en place avec le Centre Félix Guattari de Montevideo (Alfonso Lans, Marcello Leggiadro, Gonzalo Percovich, Alfredo Perdomo et Valentin Guerreros), ou à Buenos Aires avec Osvaldo Saidón, Norman Briski, l'équipe, les acteurs et les actrices du groupe «Partido en dos» - toutes ces activités ne furent rien d'autre qu'une préparation, une ouverture pour des événements qui, aujourd'hui encore, n'en finissent pas de commencer, qui persistent à résonner en nous comme une invitation à continuer nos complots avec nos petites machines, continuer à rêver, qui nous incitent à tenter des choses nouvelles en utilisant le nom de Félix Guattari.
Présentation de l'éditeur :
En Amérique latine, la schizoanalyse (G. Deleuze, F. Guattari, L'Anti-Oedipe, 1972) a été accueillie comme une pensée nécessaire face aux dictatures. Gregório Baremblitt en a fait la trame de la pratique du «squizodrame», pour la recherche, l'autogestion et la thérapie collective (avec M. Amorim, J. A. Nunes Bichuetti, M. de Fátima Oliveira, A. Lans). Peter Pál Pelbart accompagne le théâtre Ueinzz, dont les acteurs peuvent échapper à l'hôpital psychiatrique.
En France, nombreuses sont les tentatives de mises en scène passionnées par les subjectivités dissidentes. Chacun et chacune construit sa machine de soulèvement de l'état des choses : 1/ machine d'écriture (Flore Garcin-Marrou, Jean-Claude Polack, Laura Cull, Jean-Pierre Sarrazac, Audrey Olivetti, Gabriela Berti, Anne Querrien), Il machine de représentation (Fabienne Brugel, Jérôme Bel, Serena Reinaldi, Serge Séndor), 3/ machine de fiction (Marco Candore, Jacques Besse, Damien Schultz, Allen S. Weiss).
Il ne s'agit pas de théâtre mais de production de nouvelles subjectivités, exigée par la férocité de notre temps, illustrée ici par le sort fait à la ville de Détroit (Eisa Bernot) et celui fait aux Rroms (Aline Beley, Laurent Ott).
Numéro coordonné par
Anne Querrien, Flore Garcin-Marrou et Marco Candore
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