Extrait :
Introduction
La dépendance : de la fusion à la confusion
Introduction
Dependency : from fusion to confusion
Charlotte Costantino
«Dans le chant, la voix se quitte : c'est toujours une absence que l'on chante. Le temps de chanter est la claire confusion de ces deux saisons dans la vie : L'excès et le défaut. Le comble et la perte.»
Christian Bobin, La part manquante, Gallimard, Folio, 1994.
LA DÉPENDANCE DE LA NAISSANCE À LA SÉNESCENCE
«L'excès et le défaut» de la présence de l'objet : c'est bien avec cette question que l'individu doit débattre son existence durant. Pris dans les affres d'un mouvement paradoxal, il va lui falloir s'affranchir au cours de son développement de l'aliénation à l'objet et se dégager de la dyade fusionnelle, tout en restant bien souvent dans la douleur de la perte, dans la nostalgie de l'objet primaire, qui lui fait espérer qu'un jour des retrouvailles puissent avoir lieu.
À l'aube de la vie, l'extrême réceptivité du nouveau-né aux affects et aux messages provenant de l'inconscient maternel le rend particulièrement vulnérable, alors même qu'il est dans une dépendance absolue pour sa subsistance et sa construction. Lorsque, du fait d'une pathologie psychique de la mère, il se trouve pris dans des projections excessivement mortifères, le bébé peut être amené à s'identifier corporellement aux fantasmes maternels, parfois au péril de sa vie (Ducarre). Le carrefour oedipien impose choix et renoncements. Parmi eux, l'enfant et plus tard l'adolescent devra troquer ses idéaux infantiles de toute-puissance et de complétude pour un idéal porteur d'espoir et de potentialités maturantes et constructives. Pour qu'une indépendance se construise et que l'individualité advienne, l'enfant fait sien ce qui lui était alors imposé et s'approprie pour lui-même des qualités de ses objets d'amour, tout autant dans un mouvement de renoncement et d'ajournement de ses projets oedipiens que pour devenir quelqu'un. Pourtant, la dépendance aux objets primordiaux peut rester si intense qu'elle obère le processus d'accès à l'indépendance. Les adolescents restent alors aux prises avec une idéalité tyrannique, faute de mieux, et utilisée en compensation à la blessure inconsolable que constitue la perte des idéaux infantiles (Braconnier, Costantino).
Au crépuscule de l'existence, la question de cette nostalgie de l'objet perdu semble resurgir. La finitude de l'existence aiguiserait la valeur de son contenu et plus encore celui qui a trait aux origines. En institution, la régression des résidents à la relation duelle primitive s'accompagne parfois d'une gamme de manifestations du désir d'amour allant parfois jusqu'à la folie passionnelle (Charazac).
Présentation de l'éditeur :
La dépendance maquille le plus souvent des états de perte et se vit fréquemment dans une sorte de passivité imposée qui peut actualiser des vécus de privation, de soumission, d'emprise, d'intrusion et raviver des angoisses anciennes. Or, non seulement la dépendance peut être la conséquence de tel ou tel état psychique ou somatique, mais elle se trouve souvent renforcée par l'institutionnalisation, qui est porteuse en elle-même d'une promesse de dépendance, de régression. Mais l'équilibre entre la dépendance nécessaire, régressive et transitoire et celle qui ne fait que répéter de manière stérile des schémas anciens n'est pas si aisé.
Les états de dépendance confrontent aussi à une faillite de l'équilibre narcissique du sujet. Mais cette menace est également grande pour les institutions qui traitent de la dépendance dans la mesure où ces états confrontent assez souvent à une très grande impuissance. Comment rester toujours bienveillant dans ces situations ? Quand on se sent mauvais soignant, peut-on devenir maltraitant ?
Ont participé à ce numéro : Benjamin ARTAUD - Mathilde BOUYCHOU - Alain BRACONNIER - Pierre-Marie CHARAZAC - Guillemine CHAUDOYE - Claude CLOES - Marie CONSTANTIN-KUNTZ - Charlotte COSTANTINO - Dominique CUPA - Patrick DE SAINT-JACOB - Mathilde DU COLOMBIER - Catherine DUCARRE - Pierre GAUDRIAULT - Steve GEYER - Francis KATCHADOURIAN - Marie-Agnès LANGUETTE - Géraldine MORIN - Elodie PONS - Hélène RIAZUELO - Rene ROUSSILLON - Jacqueline TRAN - Audrey VAN CAEYSEELE - Cécile YDIRE - Catherine ZOUTE -
Directrice de la publication : Charlotte Costantino
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