Extrait :
Enfance, délices et orgues
HENRI LÉON VANGEON. GHÉON. FRÈRE PlERRE-DOMINIQUE. TROIS NOMS POUR UN SEUL HOMME, talentueux, généreux, bouillonnant de vie, partial. Un homme de désirs, qu'André Gide n'a cessé d'aimer, même après la fin d'une amitié fusionnelle. Un croyant fervent, qui a dompté sa sensualité effrénée pour se jeter à corps perdu dans une foi qu'il voulait ardemment transmettre. Un homme d'exception, oublié, mal connu, à découvrir, chronologiquement.
Enfant, un irrépressible besoin de jouer le caractérise. Doué d'un imaginaire extrêmement développé, il anime les portraits compassés du salon familial, se déguise des heures durant et invente moult situations qu'il mime avec un don évident. À la fin de l'adolescence, il modifiera son nom, pas seulement pour user d'un pseudonyme d'écrivain, mais pour endosser son rôle d'homme, se créer une identité qui le distingue de son père, le pharmacien Alphonse Antoine Vangeon, un homme qui aurait pu inspirer Flaubert pour le personnage d'Homais. Ghéon, nom par lequel l'écrivain signera ses lettres les plus personnelles, est né le 15 mars 1875, à vingt heures, dans l'appartement familial situé au-dessus de l'officine paternelle, au numéro 37 de la Grande Rue de Bray-sur-Seine. Son père, natif de Chartres, a alors quarante-deux ans et sa mère, Paméla Noémie Petit, une jeune femme issue d'une famille rouennaise aisée, vingt-neuf. La déclaration à l'état civil a lieu en présence d'un marchand de vin et d'un chapelier, dont les professions reflètent celles de l'entourage des Vangeon, celui de la petite bourgeoisie provinciale. Marie-Charlotte naîtra le 18 décembre 1876, c'est la chère petite soeur d'Henri, sa future confidente. Ce petit monde vit à Bray, une commune rurale de Seine-et-Marne, située à quatre-vingt-dix kilomètres de Paris et à vingt-cinq kilomètres de Sens. Alphonse Vangeon y a fait l'acquisition, en 1868, d'une maison qu'il a rachetée à un pharmacien retiré des affaires. Lorsqu'il épouse Paméla Petit, en 1873, c'est un homme mûr, vêtu de redingotes de drap noir, qui, outre les oeuvres de Voltaire, sa bible, apporte en mariage quelques biens, au nombre desquels figure le fonds de la pharmacie qu'il exploite au rez-de-chaussée de son domicile ; un apport toutefois grevé d'un passif de vingt-cinq mille francs. Mlle Petit, quant à elle, est une femme jolie et cultivée, qui a reçu une éducation propre à développer sa sensibilité artistique. À cette dot s'ajoutent une somme d'argent et un trousseau, d'une valeur totale de sept mille deux cents francs. Au fil des ans, différentes successions contribueront à conforter l'aisance financière des Vangeon.
Présentation de l'éditeur :
Né en 1875 en Seine-et-Marne, Henri Ghéon débarque à Paris en 1893 pour y faire médecine. Parallèlement, il se lance dans la littérature. Dès 1897, il fait la connaissance d'André Gide. Camarades, au sens où l'entend Walt Whitman, tous deux communient dans le culte de l'art et de la philosophie nietzschéenne. Ensemble, ils arpentent les boulevards parisiens en quête d'aventures et visitent l'Algérie et l'Italie. Dispersion et voracité sensuelle alternent chez l'homme généreux et amoral qu'est Ghéon, avec des phases de travail acharné. Ce critique prolifique prend, aux côtés des révisionnistes, parti en faveur de Dreyfus, participe à la création de La Nouvelle Revue française et entreprend la rédaction d'un plaidoyer en faveur de l'homosexualité. La Première Guerre mondiale, où il s'engage comme médecin, marque un tournant décisif dans sa vie : il y recouvre la foi catholique de son enfance. Ghéon, qui s'éloigne progressivement de Gide, mettra désormais son talent au service de Dieu, en s'attelant notamment à la rénovation du théâtre chrétien. La production littéraire foisonnante de cet écrivain méconnu est inséparable de son cheminement personnel, qui l'aura conduit d'une existence vouée aux sens à celle d'un croyant qui s'interdit toute pratique sexuelle. Révélant, dans des textes comme Le Comédien et la Grâce et Promenades avec Mozart, les ressources insoupçonnées de l'être humain, il suscite, par son exemple, un violent espoir en la vie, spirituelle ou pas. Sans se livrer à la censure, Catherine Boschian-Campaner considère l'homme et son œuvre au regard de l'Histoire. Une première biographie complète de Ghéon, qui invite à lire son évolution à partir du prisme du désir.
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