Il est des auteurs de fiction dont on dirait qu’ils passent leur vie a réécrire le même livre, s’ingéniant à en proposer, d’un ouvrage à l’autre, de subtiles et éclairantes variations. Balzac hier, Dhôtel ici. Et le miracle est que leur constance ne nous lasse pas. Bien au contraire, nous prenons un plaisir d’abord inquiet puis vite émerveillé à retrouver à chaque fois le même sous le masque de l’autre, comme si n’importait que de dire une chose et une seule sous la forme de cent cris divers : pour Balzac, qu’une ancienne façon d’être et de vivre est morte et que les gens font semblant de ne pas s’en rendre compte ; pour Dhôtel, que la vraie vie demeure envers et contre tous les dénis de ce qu’on appelle l’ordinaire de l’existence.
Les quinze nouvelles ici rassemblées, dispersées dans différentes revues entre 1942 et 1973 mais jamais réunies en recueil, racontent toutes plus ou moins la même histoire. Un garçon rencontre une fille. Ce qu’on appelle l’ordinaire de l’existence, et dont les gardiens sont notaires, épiciers ou instituteurs, s’entend à leur faire comprendre que cette rencontre ne saurait avoir de lendemain. Reste la promesse d’un regard – ou d’une lumière entraperçue, ou d’une chanson envolée, ou d’un silence partagé –, qui témoigne en secret que la vraie vie est autre : à la fois absente de partout et violemment présente en sa feinte invisibilité (dans les Ardennes, la famille Dhôtel cousinait vaguement avec celle de Rimbaud). Il n’en faut pas plus au héros de l’affaire – en général un anti-héros de la belle espèce – pour affronter les mille et une traverses que l’histoire, c’est-à-dire le génie sournois du romancier, jette au beau milieu de sa route. Et peu importe dès lors l’issue bonne ou mauvaise de l’aventure, la mort même. Peu importe que celui ou celle qu’on s’est promis de revoir un jour revienne trop tard ou ne revienne pas du tout.
L’essentiel est d’avoir aperçu, ne serait-ce que le temps d’une seconde, la fêlure ouverte dans le mur obtus de ce que les gens sérieux appellent le réel, par quoi se fait brusquement jour une clarté incompréhensible, plus vraie que toute réalité prétendue, et si merveilleusement inutile qu’on est tenté de lui donner le beau nom, si inutile lui aussi, de vérité.
Mais que voici de bien grands mots alors qu’il n’est ici question que de vagues campagnes vouées au train-train des jours, des bruits trompeurs de la forêt, de conversations bistrotières pleines des habituels sous-entendus et de ces jardins de faubourgs où cohabitent mystérieusement les salades et les fleurs. Car Dhôtel, ne l’oublions pas, est à sa façon un humoriste, et s’il ouvre sans en avoir l’air sous les pas de l’innocent lecteur la caverne de Platon, ce n’est jamais sans lui recommander de ne pas se cogner la tête en entrant – sait-on jamais.
On peut avoir le goût de débarquer ici et là de menus morceaux d’infini, et ne pas en faire toute une histoire. En faire, au mieux, quelques histoires qui n’ont l’air de rien ; mais où il n’est pas interdit de s’attendre à tout.
Quinze nouvelles jamais réunies en recueil à ce jour, dispersées dans diverses revues entre 1942 et 1973, qui ont l’air de raconter quinze fois la même histoire, et qui se donnent quinze façons de nous égarer, de nous désespérer – et peut-être de nous émerveiller.
La même histoire... Un garçon rencontre une fille et la perd, puisque et le monde en son entier semble conspirer à le persuader qu’elle n’est pas pour lui. Mais qui saura jamais dire ce qui est pour nous, parmi l’énigmatique banalité de ce qui advient sous le ciel ?
Reste presque toujours au héros de l’affaire – en général un anti-héros de la bonne espèce – la simple promesse d’un regard, d’une chanson envolée, d’un silence bizarrement partagé, qui témoigne en secret que la vraie vie est autre : à la fois absente de partout et violemment présente en sa feinte invisibilité (dans les Ardennes, la famille de Dhôtel cousinait vaguement avec celle de Rimbaud).
Peu importe dès lors l’issue bonne ou mauvaise de l’aventure. Peu importe même si celui ou celle que l’on s’est promis de revoir un jour revient trop tard ou ne revient pas du tout. L’essentiel, sans doute, est d’avoir aperçu, même le temps d’une seconde, la fêlure ouverte dans le mur obtus de ce que les gens sérieux appellent le réel, par quoi se fait brusquement jour une lumière incompréhensible, plus vraie que toute réalité prétendue, et si merveilleusement inutile qu’on est tenté de lui donner le beau nom, si inutile lui aussi, de vérité.
Quinze histoires qui n’ont l’air de rien, mais où il n’est pas interdit de s’attendre à tout.