Extrait :
Extrait de l'introduction :
Imaginons un homme assis à la table d'un restaurant. On lui présente la carte. Il commence par remarquer à la ligne «bavette» qu'il y a une faute d'orthographe à «échalote» écrite avec deux t, puis observe attentivement l'écriture et l'encre, plonge sa cervelle, qu'il croit innocente comme celle d'un agneau, dans la magie des termes qui, comme en amour, fait venir l'eau à la bouche, rêve sur le beau mot équivoque de «Menu» gravé sur la couverture en similicuir. Lorsque le serveur vient prendre la commande, notre penseur reste muet, parce que le langage lui a tenu lieu de réalité et que, en spéculant sur la matérialité et le symbole du texte, il en a oublié de manger.
N'allons pas croire que cet étrange client est un cas unique de son espèce. Il ressemble à tant de nos professeurs en philosophie qui n'aiment rien tant que d'oublier et de faire oublier la chose au profit de ses conditions. C'est peu de dire que ceux-là restent sur leur faim et nous laissent sur la nôtre (certains croient s'en tirer en nous soûlant...). Le grand public des curieux a une faim de philosophie que les exégètes du même nom n'ont pas rassasiée.
Platon pensait que l'esprit de n'importe qui, fût-il esclave, contenait déjà tout le savoir possible, le travail du dialogue consistant dès lors à le mettre au jour. Descartes écrivit son Discours de la méthode en français, et non en latin, la langue savante de l'époque, de manière à être compris même des femmes. Leibniz, qui fut avec Newton le cerveau le plus productif de son temps, se faisait fort d'expliquer les grandes lignes de sa pensée (pourtant complexe) à n'importe quel honnête homme de son temps en un quart d'heure.
Le siècle écoulé aura eu tendance à oublier cette leçon : une pensée n'existe vraiment que si elle est comprise. Dépouillée petit à petit par la science des secteurs du savoir qui faisaient d'elle depuis les Grecs la connaissance par excellence, la philosophie a souvent eu pour réaction de se réfugier dans les ténèbres de ses abstractions. Elle cultiva avec un soin tout particulier la manie du négatif; l'impossible sous toutes ses formes G'incompréhensible, l'incommunicable, l'intraduisible...) devint son maître mot, le fin fond de sa pensée.
Contre ce préjugé de l'impossible, qui agit comme la plus impitoyable des censures, car dans le totalitarisme aussi, la pensée franche est impossible, il faut dire et répéter que la philosophie est, comme la musique et comme l'amour avec lesquels elle a tant de points communs, l'affaire de tous. La connaissance, le plaisir, le sens de la vie, la communauté politique, la beauté des êtres, l'inattendu des événements, la faute, la mort, l'espoir : il n'est pas absolument indispensable d'avoir fait dix ans d'études, ni de connaître le grec et l'allemand, pour avoir une idée de ce qu'ont pu en dire les plus grands philosophes de l'histoire.
L'univers de la philosophie, dont le big-bang eut lieu presque en même temps en Grèce, en Inde et en Chine, il y a vingt-cinq siècles, est loin de constituer une unité homogène. S'il partage avec l'univers physique cette caractéristique d'être en expansion, il se disperse rapidement en lieux qui n'ont pratiquement pas de relations d'échange entre eux. Les hommes, les doctrines font bien davantage que différer : ils se contredisent. Qui dira jamais la vérité sur l'art, le sentiment, le gouvernement des hommes ou la croyance religieuse ? Des questions que l'homme ne peut pas s'empêcher de poser tout en étant dans l'incapacité de les résoudre de manière définitive - voilà l'espace symbolique dans lequel se déploie le monde de la philosophie.
À propos de ce livre
C'est à cette formidable aventure, qui pour une bonne part a constitué l'histoire, que le lecteur est convié. Ce livre n'a pas la prétention de présenter une vision personnelle ou originale de la philosophie et de son histoire. Bien des ouvrages, rédigés par des spécialistes reconnus, remplissent avec plus ou moins de bonheur cette fonction.
La Philosophie pour les Nuls a pour ambition d'offrir dans une langue accessible à tous une approche de la philosophie à travers son histoire. Elle possède, du moins je l'espère, les qualités du panorama (la vision large et le plaisir de l'instant), mais aussi ses limites : la généralité des grandes lignes qui estompent les détails.
Nous allons ainsi parcourir vingt-cinq siècles d'histoire de la pensée philosophique, non pas à la façon des collectifs de chercheurs spécialistes, chacun attaché à un auteur et assez indifférent à ceux qui le précèdent et qui le suivent; non pas à la manière de ceux qui ne se déplacent plus qu'à la vitesse de la lumière et prétendent faire le tour de toutes les questions avec seulement quelques flashes d'informations. Nous allons plutôt tâcher de caractériser le plus simplement mais aussi le plus fidèlement possible les grandes philosophies dans leur originalité propre.
Présentation de l'éditeur :
Cet ouvrage a pour ambition d'offrir dans une langue accessible à tous une approche de la philosophie à travers son histoire. Nous allons ainsi parcourir quatre siècles d'histoire de la pensée philosophique. L'âge classique (XVIIe-XVIIIe siècles) Trois hommes marquent l'entrée de la philosophie dans la période moderne qui met fin à la Renaissance – un Français, Descartes, et deux Anglais, Francis Bacon et Thomas Hobbes. Cet âge classique, que l'on associe un peu vite à l'ordre immuable des châteaux et jardins royaux, est aussi celui des révolutions en tous les domaines : scientifique, moral, politique. Ce n'est pas un hasard si les révolutionnaires de 1793 reconnaîtront en Descartes et en Bacon des frères. La philosophie moderne (XIXe siècle) Génial XIX e siècle ! Il va de Hegel à Nietzsche en passant par Auguste Comte, Kierkegaard, Marx et Schopenhauer. Ces penseurs ont évidemment marqué notre temps de manière plus directe que leurs prédécesseurs. En fait, si l'on y regarde bien, aucun philosophe du XXe siècle n'a eu un impact aussi grand qu'Auguste Comte, Marx ou Nietzsche. La philosophie contemporaine (XXe-XXIe siècles) S'il est encore trop tôt pour faire le bilan du terrible XXe siècle, du moins est-il possible de donner un aperçu des idées qui ont animé des philosophes tels que Bergson, Husserl, Sartre, Merleau-Ponty ou Derrida. Notre histoire débouchera non sur une lumière mais sur une interrogation : le temps est-il encore à la philosophie ? Cette aventure commencée avec les sages de la Grèce, de l'Inde, de la Chine et de la Palestine est-elle à lire comme une histoire déjà finie, à admirer comme un musée, un patrimoine, ou bien peut-elle continuer de vivre en nous, et surtout par nous ? Au lecteur de trancher (en prenant garde de ne pas se couper).
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