Extrait :
Naples, 18 août
Dans la maison de Paola, une semaine avant mon départ (pour Marrakech). Suspendue et enfermée volontairement dans ce paquebot de luxe qui domine la baie. Le rose de Capri le soir. Le temps me prend la main.
Le viatique de Pierre B., né à Mogador, ayant vécu en Algérie : «Embrasse la main que tu ne peux couper.»
Et celui de Jean-Do : «Méfie-toi des hommes petits et des femmes grosses.»
Je signale à Ignace qu'il ne faut pas d'accent circonflexe sur rétive, ni sur feuler. Le même jour, Gilles C, mon «zio», me signale un livre de Cerquiglini sur l'accent circonflexe, ce qui l'épate.
Proust dit de monsieur de Norpois (le marquis ambassadeur) qu'il est «répandu». Il y a deux phrases sublimes sur les conjonctions de subordination dans la Recherche, l'une à propos du caractère des femmes, l'autre sur lui : «Les "quoique" sont toujours des "parce que" méconnus.»
Et cette définition de l'amour qui m'émeut : le narrateur ne veut pas devenir diplomate parce qu'alors il serait obligé d'aller «dans des capitales que Gilberte n'habiterait pas...».
Je retrouve dans les expressions de Françoise beaucoup de ma nounou. J'ai, par exemple, entendu dans mon enfance Nev' York.
Gabriel m'a appris «papier d'argent» (plus poétique que le papier d'aluminium), qu'on trouve chez Proust. Je retrouve aussi l'anecdote qu'il m'a souvent racontée sur la disgrâce de Racine, peut-être parce qu'il a prononcé le nom de Scarron devant le roi. Proust lui-même la prend chez Saint-Simon.
Je suis bouleversée de lire dans À l'ombre... le passage où le narrateur tape trois coups sur la cloison, et sa grand-mère lui répond. Comme avec Gabriel ! Et sa réponse quand il s'exclame : «Sans toi, je ne pourrais pas vivre !»
Présentation de l'éditeur :
Changement de poste, changement de monde : Véronique Bruez est nommée à Marrakech, et une nouvelle vie commence.
Elle tient la chronique détaillée de cette expatriation dans son journal intime. Les surprises, les émerveillements de la découverte du Maroc, mais aussi le désenchantement s'y mêlent aux amours, aux souvenirs, aux incertitudes d'une jeune femme plongée dans un univers inconnu et qui jette sur lui, comme sur toutes choses, un regard acéré.
Soutenus par une écriture allègre et inventive, ces carnets marocains offrent un regard neuf, débarrassé des clichés habituels, sur un pays que l'on croyait connaître. Ils ne l'en rendent que plus attirant, et plus mystérieux encore.
Véronique Bruez, après des études de lettres classiques à la Sorbonne, part pour l'Italie : Venise, Rome, les Pouilles, la Sicile, et surtout Naples où elle passera cinq ans. Elle a commenté Pétrone, traduit un manuscrit du Pogge, exhumé un texte inédit de Dumas. Elle vit au Maroc depuis 2004 et travaille depuis quatre ans dans le monde du cinéma. La Terrasse des Paresseux est son premier livre.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.