Extrait :
Extrait de l'introduction
Sur les vestiges de la raison
«Vous êtes d'une école enviable qui suppose que l'existence mène quelque part, vous êtes mal tombé chez nous.»
L'aventure du théâtre au siècle dernier a été celle d'une mue. Ébranlé dans ce que l'on croyait être ses fondements, il a oscillé entre la célébration de son agonie et l'épreuve incertaine de sa résurrection. Ces bouleversements ont eu des répercussions concrètes sur le texte théâtral et son expression scénique. La réflexion que le XXe siècle a entreprise sur l'anthropologie fondamentale, la pensée et la parole, était marquée par l'introduction de la notion d'inconscient à la fin du XIXe siècle. Les auteurs dits «d'avant-garde», comme Ionesco, Beckett, Tardieu ou Genêt, n'ont eu de cesse d'interroger les limites du dramatique, ainsi que la légitimité du genre dans son aptitude à dire une vérité du monde. Comment la scène pourrait-elle transmettre une vérité s'il n'y a aucune vérité à déchiffrer, sinon que le monde est déraisonnable, la condition humaine absurde et sans promesse d'au-delà meilleur ?
Après la mort de Dieu, après la mort de l'homme - dans son humanité, avec la découverte de la Shoah -, comment appréhender ce monde éclaté qui n'a plus ni direction ni signification ? Le XXe siècle a vu péricliter la vision humaniste du monde dont il avait hérité et celle de l'Histoire entendue comme progrès. L'art est porteur de cette nouvelle perception qui, dans le cadre du théâtre, met également en cause la nécessité de l'action : si l'Histoire ne s'améliore pas, si elle n'est pas l'histoire de l'accomplissement de l'homme, pourquoi agir ? Le théâtre des années cinquante se construit et se fonde sur ces ruines. Le sens a si bien déserté notre espace que les hommes ne peuvent trouver de langage commun pour communiquer. Les pièces sont de plus en plus épurées, la disparition du théâtre est annoncée. Dans le cadre d'une réflexion sur le théâtre contemporain, légataire de ces problématiques, et parfois de ces impasses, il apparaît que l'oeuvre de Yasmina Reza est particulièrement riche. Pour le comprendre, nous nous sommes intéressé à l'ensemble de sa production dramatique ainsi qu'aux récits non destinés à la scène lors de l'écriture, et qui connurent un destin théâtral. Cette perméabilité semble d'autant plus intéressante qu'elle est représentative des interrogations qui animèrent le XX' siècle sur la frontière entre les arts et entre les genres, que le XXIe siècle reconduit.
Présentation de l'éditeur :
Yasmina Reza est reconnue dans le monde entier comme un des auteurs les plus importants du théâtre contemporain. Le film de Roman Polanski adapté de sa pièce Le Dieu du carnage en apporte une nouvelle et éclatante preuve. En France, pourtant, elle n'est souvent considérée que comme un auteur à succès, avec ce que cela peut avoir de péjoratif dans ce pays.
L'objet de ce livre, qui est la première étude exhaustive de l'oeuvre théâtrale de Reza, est de rendre justice à sa profondeur et à sa richesse. Sous le masque de la comédie, un miroir est tendu au public, où il peut reconnaître les plus universelles des interrogations sur le sens de la vie et de l'art, dans la continuité de l'avant-garde du milieu du XXe siècle, dont la lumineuse analyse d'Alice Bouchetard montre que Yasmina Reza représente une relève inattendue.
Alice Bouchetard est écrivain, metteur en scène de théâtre et universitaire. Lauréate du prix du Jeune Écrivain en 2005 et 2006, elle a contribué aux recueils de nouvelles Demain sans lendemain (Mercure de France) et Ne rien faire (Buchet-Chastel). Yasmina Reza. Le miroir et le masque est issu de la thèse qu'elle a soutenue en 2010 sous la direction de Denis Guénoun.
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