Revue de presse :
Dans la vraie vie, qui occupe sur la page une place égale au monde réinventé, Erwin est seul et démuni. Le songe seul le relie aux autres. Ce roman, mené de main de maître dans une prose limpide et sûre, navigue donc entre deux mondes, en une époque particulièrement houleuse...
Ce livre grave, prenant et profond d'Aharon Appelfeld, comme le précédent paru en France, est à forte teneur autobiographique. Il met en lumière l'impasse du sionisme à travers ce personnage d'un Israélien par la force des choses, qui ne se reconnaît pas dans cette nouvelle identité collective. (Muriel Steinmetz - L'Humanité du 12 mai 2011)
Comment Appelfeld parvient-il à passer de l'hallucination à la réalité avec autant de douceur et de naturel ? En maintenant son écriture dans un savant engourdissement, en déjouant la simplicité apparente de son style avec des pirouettes flottantes qui font perdre pied, planer le doute...
Blessé en Palestine, où il a été enrôlé pour bâtir Israël, Erwin perd ses jambes. Morcelé de toutes parts, hachuré, en lambeaux, il se décompose et s'éparpille. Jusqu'à ce qu'il ait cette révélation fondatrice : «La mort est un des visages de la vie.» Alors les vides deviennent des pleins ; les trous, des liens ; les absences, des présences. (Marine Landrot - Télérama du 25 mai 2011)
La voix d'Aharon Appelfeld est la plus poignante de la littérature israélienne. Hantée par la Shoah et par l'exil, cette voix-là ne cesse de faire revivre les heures les plus ténébreuses de l'histoire du XXe siècle...
Avec ce récit autobiographique, Appelfeld - Prix Médicis étranger en 2004 - signe une parabole magnifique sur l'exode, sur les tourments d'une enfance sacrifiée et sur les pouvoirs rédempteurs de la langue, lorsqu'elle devient le miraculeux instrument d'une renaissance. (André Clavel - Lire, juin 2011)
Et si c'était en dormant que nous vivions vraiment ? Si l'essentiel nous apparaissait plus nettement dans cet autre état de la conscience qu'est le sommeil ? Si nous étions davantage nous-mêmes sous nos paupières closes - je dors, donc je suis ?...
C'est exactement ce qu'il décrit dans Le Garçon qui voulait dormir. Erwin, le personnage principal, est un adolescent rescapé des camps. Depuis la fin de la guerre, il dort. Quelquefois, il émerge du brouillard, somnambule hagard. On lui fourre un quignon de pain dans la bouche et il sombre à nouveau. C'est qu'Erwin se trouve bien dans cette torpeur. Traversant des couches de temps, il entend les voix aimées de ses parents ou de ses grands-parents disparus lors de la Shoah. Il converse avec elles, leur demande conseil, se relie au monde d'hier pour tenter de renaître à celui de demain. Il s'interroge : se peut-il que "nous portions en nous d'autres personnes que nous-mêmes" ? Chacun est plusieurs, nous dit Appelfeld. Au fond de nous s'est déposée la mémoire d'êtres que nous n'avons pas été, de situations que nous n'avons pas vécues. Et l'écriture permet d'y accéder. (Florence Noiville - Le Monde du 23 juin 2011)
Extrait :
Depuis la fin de la guerre, j'étais plongé dans un sommeil continu. Je passais de train en train, de camion en camion, de carriole en carriole, tout en demeurant dans un sommeil épais dénué de rêves. Lorsque j'entrouvrais les yeux, j'apercevais des gens qui me semblaient lourds et inexpressifs.
Je n'ai aucun souvenir de cette grande errance, et il n'y a rien d'étonnant à cela. J'avalais la nourriture distribuée, ou plutôt les restes que l'on me donnait. S'il n'y avait eu la soif pour me torturer tout au long de la route, je ne me serais sans doute jamais levé, pas même pour une tranche de pain. Une seule sensation émerge de ce voyage abruti de sommeil : l'eau fraîche et limpide des rivières apaisant pour un instant trop fugace le feu qui brûlait en moi, avant que la soif ne me torture de nouveau. Les réfugiés me portaient à bout de bras. Si l'on m'oubliait, il se trouvait toujours quelqu'un pour venir me chercher. Mon corps a gardé l'empreinte de cette errance chaotique, bien mieux que moi. J'ai parfois l'impression d'être porté dans le noir, ou d'avancer en titubant. Apparemment, je ne saurai jamais ce qui m'est arrivé durant ces jours de sommeil, hormis le timbre d'une voix qui s'adressait à moi, le goût du pain que l'on fourrait dans ma bouche et, à part ça, le brouillard.
C'est ainsi que je suis parvenu ici. On a relevé les bâches, des gens et des ballots se sont déversés. «Naples !» ont clamé les chauffeurs des camions. Le ciel était très haut, le soleil brûlant se noyait dans la mer, la lumière était aveuglante.
Je n'ai pas eu la moindre envie de me mêler à la bousculade pour prendre un lit d'assaut dans un baraquement, ou de faire la queue pour recevoir les vêtements distribués par les employés du Joint. L'effervescence et la soif de vie de tous ces gens pressés me paraissaient grotesques.
Je tenais à peine sur mes jambes, mais je réussis à me traîner jusqu'au pied d'un arbre où je m'effondrai et m'endormis.
C'était un sommeil plus léger que d'habitude, je pouvais entendre les éclats de voix et le ronronnement des générateurs. Je me redressai mollement. Je sentis la terre dure sous mon corps et pensai : Bientôt on va me porter. Cette crainte retarda le sommeil, dans lequel pourtant je plongeai.
Le soir un homme vint me secouer.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.