Extrait :
La comète était apparue dix jours après notre départ de l'île de Vera Cruz. Chaque soir, on la voyait poindre du côté de l'orient, dans le cap suivi par le timonier. Je m'étais moqué de ceux qui avaient parlé de mauvais présage. Moi, mestre João Faras, médecin et chirurgien du roi de Portugal, cosmographe, moi, croire à ces superstitions ? Pourtant, je me sentais mal à l'aise quand je l'observais au-dessus de l'horizon, superbe, flamboyante, dotée d'une queue fort longue, rougeâtre : menaçante finalement. Le mal de mer était revenu m'indisposer, bien que la houle fût plutôt modérée.
Je préférais écouter ceux qui disaient que la comète avait été envoyée par Dieu afin de nous indiquer la direction du cap de Bonne-Espérance. Mais pour être honnête, je me surpris à éprouver du soulagement lorsque notre céleste apparition cessa de s'exhiber, après dix jours de parade équivoque.
Nous avions belle mer et bon vent. Les onze nefs et caravelles de notre armada traçaient un sillage régulier sur la grande volte atlantique, la route maritime aux vents portants qui devait nous mener dans l'océan Indien, que seule la flotte de Vasco da Gama avait parcouru avant nous. Les voiles, marquées de la croix rouge de l'Ordre du Christ, étaient fièrement tendues, et l'on oublia bien vite la comète.
Deux jours après sa disparition, le soleil levant fit miroiter une puissante houle d'ouest qui imprimait de longues ondulations à la mer, comme si elle venait du bout du monde.
Au milieu du jour, nous vîmes grossir à l'horizon nord une nuée noire, épaisse, ténébreuse. Bientôt le vent tomba complètement et les voiles pendaient, flasques, le long des mâts, s'ébrouant seulement sous l'effet de la houle. Elles battaient parfois violemment lorsqu'une vague plus escarpée faisait se cabrer la nef. La vapeur sombre qui s'approchait avait davantage l'apparence d'une formidable fumée que d'une aimable brume. Le ciel s'obscurcit tout à fait, les claquements lugubres des voiles renvoyaient au visage des hommes de quart la moiteur du tissu. Le temps semblait comme suspendu. Je n'en menais pas large.
Soudain, les voiles s'enroulèrent à grand fracas autour des mâts : la tempête nous frappait de face, brutalement.
La nef trembla sous le choc, pivota et s'inclina sur le côté, bien plus qu'elle ne l'avait jamais fait jusqu'alors. Le bord où je me trouvais se souleva, je m'accrochai au bastingage, lâchai prise, roulai, me cognai de-ci de-là et me retrouvai sur l'autre bord qui commençait à s'enfoncer dans la mer. L'arrivée subite du vent n'avait pas laissé le temps à l'équipage de s'organiser pour manoeuvrer et replier les voiles, qui secouaient furieusement la mâture, livrées à elles-mêmes. Les hurlements des hommes étaient étouffés par celui de la tempête.
Le bateau penchait de plus en plus, les vagues montaient à l'assaut du pont principal. Je nageais littéralement et bénis mon grand-père de m'avoir enseigné cet art dans le Guadalquivir, avant l'expulsion. Je pus encore m'accrocher, cette fois à quelque cordage du grand mât dont le pied était balayé par la mer, ce qui me permit de ne pas rejoindre ceux qui se noyaient.
La nuée semblait s'éclaircir, les fumées s'écartaient, se tordaient, s'enchevêtraient de nouveau, c'était comme une danse infernale. La déclivité du pont augmentait encore. La nef chavirait vers l'abîme.
Présentation de l'éditeur :
À l'aube du XVIe siècle, João Faras, jeune cosmographe, embarque avec l'armada de Pedro Álvares Cabral pour établir un comptoir sur la côte est de l'Afrique. Son rêve : contribuer à l'amélioration du Padrão Real, cette carte du monde secrètement gardée à la Cour. Mais la navigation est alors une science balbutiante... Entre exotisme et cruauté, le jeune érudit découvre la vie hasardeuse de marin.
Bruno d'Halluin est né à Annecy en 1963. Passionné par la géographie et l'histoire des grandes découvertes, il multiplie les voyages au long cours. Son premier roman, Jón l'Islandais, disponible en Points, a reçu de nombreuses distinctions.
" Ce roman historique se lit comme un polar et l'on est séduit par le voyage d'un homme entre deux mondes. "
Ouest France
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