Extrait :
Il était trop tard pour faire comme s'il ne l'avait pas vue. Juliet plissait déjà les yeux, le reconnaissant. Un instant, elle parut heureuse de découvrir un visage familier dans une rue fréquentée. Puis elle comprit que c'était lui.
«Nate.
- Juliet ! Salut. Comment vas-tu ?»
Au son de sa voix, une petite grimace crispa la bouche et les yeux de la jeune femme. Nate eut un sourire gêné.
«Tu es superbe, dit-il. Où en est le Journal ?»
Juliet ferma les yeux un instant. «Il progresse, Nate. Je vais bien, le Journal aussi. Tout va bien.»
Elle croisa les bras, fixant d'un air pensif un point situé au-dessus du front de Nate. Ses cheveux bruns étaient détachés, elle portait une robe bleue cintrée et un blazer noir aux manches retroussées au niveau des coudes. Il détourna les yeux pour fixer un groupe de gens, puis la regarda à nouveau.
«Tu prends le métro ? demanda-t-il, désignant du menton l'entrée de la station à l'angle de la rue.
- Ah oui ?» La voix de Juliet se voila. «Vraiment, Nate ? s'exclama-t-elle. C'est tout ce que tu as à me dire ?
- Pas du tout !» Il recula d'un pas. «Seulement je pensais que tu étais peut-être pressée.»
En fait, il était préoccupé par l'heure. Il était déjà en retard pour le dîner d'Elisa. Il passa la main dans ses cheveux - leur abondance le réconfortait toujours.
«Allons, Juliet, dit-il. Ne le prends pas comme ça.
- Ah ?» Elle se raidit. «Je dois le prendre comment, Nate ?
- Juliet...» commença-t-il. Elle l'interrompit.
«Tu aurais pu au moins...» Elle secoua la tête. «Oh, peu importe. Ça n'en vaut pas la peine.»
Il aurait pu quoi ? Nate voulait le savoir. Mais il se représenta l'expression blessée, le visage défait d'Elisa si tous ses invités étaient obligés de l'attendre pour dîner, il entendit sa voix un peu nasale excuser son arrivée tardive d'un désinvolte «Ça n'a pas d'importance» comme si elle avait depuis longtemps cessé de se formaliser des mauvaises surprises qu'il lui réservait.
«Écoute, Juliet, c'était super de te voir. Et tu es magnifique. Mais il faut vraiment que j'y aille.»
Elle renversa la tête en arrière. Tressaillant presque. Nate comprit - c'était évident - qu'elle se sentait insultée par ses paroles. Il les regretta aussitôt. Brusquement, il ne la vit plus sous les traits d'une adversaire, mais comme une très jeune femme vulnérable, malheureuse. Il eut envie de l'aider, de lui dire un mot gentil, sérieux, sincère.
«Connard», lâcha-t-elle, lui coupant l'herbe sous le pied.
Elle le fixa une fraction de seconde puis se détourna, s'éloignant d'un pas rapide vers la rangée de restaurants et de bars qui bordait le fleuve. Nate faillit la rappeler. Il voulait du moins essayer d'arranger les choses. Mais que dirait-il ? Le temps lui manquait.
Revue de presse :
Il s'appelle Nathaniel Piven. Nate ou Natty pour les intimes. Jamais entendu parler ? Tant mieux pour vous si vous êtes une femme. Car Nate a beau avoir de nombreuses qualités objectives, s'éprendre de ce jeune et très " hype " intello de Brooklyn n'est pas une sinécure. Angoissé, complexé, narcissique, inconséquent, lâche et nul en psychologie : telles sont les épithètes que l'on pourrait lui accoler sans réfléchir. Et l'on pourrait en trouver bien d'autres : influençable, intéressé, inconstant, arriviste, libidineux, hypocrite, infidèle, dévergondé...
Ironique tableau d'un milieu auto-satisfait et narcissique, La Vie amoureuse de Nathaniel P. est aussi une auscultation à la loupe du marivaudage hipster entre Park Slope et Dumbo. Personne n'en sort gagnant, ni les hommes ni les femmes...
Que disait Carmen ? " Si tu ne m'aimes pas, je t'aime " ? Rien de nouveau sous le soleil, mais un livre drôle et enlevé pour le prolonger, le soleil des vacances. (Florence Noiville - Le Monde du 28 août 2014)
Retraçant les vagabondages amoureux d'un jeune écrivain new-yorkais, Adelle Waldman brosse un portrait de l'élite littéraire de Brooklyn tout en finesse et en ironie...
En plongeant dans la psyché d'un homme d'aujourd'hui, sans prise à partie, mais avec toute l'ironie et la finesse nécessaires, Adelle Waldman retranscrit fort justement les moeurs de la jeune élite littéraire de Brooklyn. Pas si éloignée que cela des trentenaires hype du monde entier. (Marianne Payot - L'Express, septembre 2014)
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