Extrait :
L'histoire des plantes cultivées et celle de l'agriculture ont rarement passionné les historiens. L'histoire événementielle s'est très longtemps taillé la part du lion dans les livres scolaires et même dans les autres ouvrages historiques, où la succession des souverains, des guerres, des traités, des créations d'état et des partages de territoire constituent l'essentiel des sujets. Les arts et les religions sont d'autres composantes nobles de l'histoire telle qu'on l'entend le plus souvent. L'histoire matérielle, longtemps reléguée au second plan, n'a acquis ses lettres de noblesse que plus récemment avec la découverte, grâce à l'archéologie, des vestiges des bâtiments, des outils, des bijoux ou des vêtements mettant en lumière les conditions de vie et de travail à des époques passées ; mais, même dans ce secteur, l'agriculture et les plantes ont été le plus souvent négligées. Alors qu'une démarche constante des historiens a été l'étude des lignées de gouvernants, des langues, des écoles artistiques ou des civilisations en général, bien peu d'entre eux (et c'est un euphémisme) se sont souciés de la culture et de l'origine des plantes qui nous nourrissent. On peut rappeler à ce sujet la réflexion attribuée à l'entomologiste français Jean-Henri Fabre : «L'histoire célèbre les champs de bataille sur lesquels nous trouvons la mort, mais elle ne daigne pas parler des champs cultivés grâce auxquels nous prospérons ; elle mentionne le nom de tous les bâtards des rois, mais elle ne peut pas nous renseigner sur l'origine du froment ! Telle est l'inconscience de l'Homme.» (Harlan, 1987) Il ne s'agit peut-être que de la retraduction en français des phrases originales traduites par Harlan, mais elles reflètent sans doute la pensée de Fabre qui a incontestablement influencé plusieurs générations par ses ouvrages pleins d'observations, de descriptions passionnantes et de réflexions parfois profondes sur le monde des insectes ou même sur la société humaine comme dans ce cas.
Jean-Henri Fabre rappelle ainsi que les plantes cultivées aussi ont une histoire. Du vivant de Fabre, au moins un chercheur s'y était consacré à ce sujet à la fin du XIXe siècle, le Suisse Alphonse de Candolle qui n'était cependant pas considéré comme un historien alors qu'il avait nettement fait le rapport entre l'histoire ou la préhistoire d'une part et la domestication ou la «migration» des plantes cultivées d'autre part. Certes, on savait depuis la fin du XIXe siècle qu'après l'âge de la pierre taillée, notion affirmée pour la première fois lors de l'Exposition universelle de Paris en 1867, les hommes qui avaient poli certains outils au lieu de se contenter de les tailler étaient des agriculteurs succédant aux prédateurs de 1 «âge» précédent. Cette nouvelle vision était cependant loin d'être acceptée ou même connue d'emblée. Pour les créationnistes, encore nombreux, la recherche de l'histoire des plantes n'avait aucun sens. Il restait, pour aborder le sujet, bien des difficultés à surmonter.
À cela s'ajoutent des raisons techniques. Si on retrouve facilement les outils en pierre, parfois les ossements ou les vestiges d'habitats, il est difficile, voire souvent impossible de retrouver les restes des végétaux qui ont servi de nourriture. Les grains de céréales, les fruits sans noyaux et plus encore les légumes verts se conservent beaucoup plus difficilement que les outils ou les ossements. Les plus anciens textes relatifs à l'agriculture qui ont été retrouvés proviennent d'une période proche de l'invention de l'écriture : les tablettes sumériennes décrivent en détail l'organisation des semis, des récoltes, des collectes et du stockage des céréales et des fruits en Mésopotamie au cours du IIe millénaire av. J.-C. ; des textes similaires sont disponibles pour l'Égypte antique et bien d'autres civilisations anciennes. Mais, comme le fait remarquer Maurizio (1932), s'il existe une littérature pléthorique sur la gestion des exploitations agricoles, l'énumération et la description des espèces cultivées, même succincte, est rare. Les textes relatifs à des événements a priori sans rapport avec l'agriculture contiennent parfois de précieuses allusions à des plantes ou à des cultures bien précises. Les textes relatifs à l'approvisionnement des armées, la nourriture du peuple ou l'opulence des campagnes ne mentionnent souvent qu'un aliment essentiel comme le riz ou le blé. De plus, les anciennes données écrites relatives aux plantes, même courantes, sont loin d'être toujours facilement interprétables. La difficulté n'est pas propre aux plantes, tant s'en faut, mais la dénomination de celles-ci constitue un piège dans lequel plus d'un historien est tombé par méconnaissance de la botanique ou de l'agronomie, les anachronismes et les faux sens commis dans ce domaine passant facilement inaperçus à leurs yeux.
Présentation de l'éditeur :
Le saviez-vous ? Si le persil est resté au stade de condiment, c'est parce que ses feuilles contiennent en petite quantité une substance toxique. La Nouvelle-Guinée a été un centre de domestication d'une grande importance pour les peuples des zones tropicales. Un tas de détritus a permis d'émettre des hypothèses sur la manière dont les hommes ont commencé à sélectionner les plantes de leur environnement. Les descendants des Aztèques continuent d'ajouter de la chaux à leurs plats de maïs et évitent ainsi trois maladies nutritionnelles. Les poules ont été introduites en Amérique avant sa découverte par Christophe Colomb. La prévention du scorbut par les Anglais, rendue possible par l'une des premières expériences scientifiques modernes, a eu des conséquences géostratégiques immenses. Les premiers critères de sélection des animaux par les hommes du Néolithique ont probablement été une moindre crainte et une agressivité atténuée à l'égard de l'homme, engendrant paradoxalement la sélection des individus les moins vigoureux. Une part non négligeable de la sélection au cours de l'histoire a concerné la toxicité des plantes...
De la domestication empirique du Néolithique aux méthodes modernes de sélection, des grands empires de l'Antiquité aux colonisations en passant par les grandes explorations des Européens, cet ouvrage s'attache à décrire, sous l'angle de la nutrition, les plantes et les animaux qui composent notre alimentation.
Ingénieur agronome de l'INA P-G (actuel AgroParisTech) à la retraite, docteur ès sciences, Jean Guillaume a été chercheur à l'Inra et à l'Ifremer. Il a surtout travaillé sur la nutrition des volailles puis des poissons et des crustacés, mais aussi sur les facteurs antinutritionnels des aliments. Passionné par l'histoire des sciences et en particulier de la nutrition, des plantes cultivées et des animaux domestiques, il a dispensé cours et conférences dans de nombreux pays.
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