Présentation de l'éditeur :
Voici la campagne, ou plutôt la Champagne - ainsi qu'on désignait au Moyen Age tout territoire sauvage se déployant hors de la ville.
Voici un royaume encore épargné par le développement durable. Un lac d'eau pure s'étale entre les plus vieilles montagnes du monde. Les conifères et les bouleaux hérissent leurs murailles impénétrables. Les citoyens du royaume sont des chevreuils, des loutres, des écureuils, des insectes, des chanterelles - et quelques humains, réfugiés dans la célébration de la nature, rejoints malgré eux par la tourmente.
Lila protège le territoire contre les prédateurs et ressasse ses amertumes. Claire fabrique des scénarios de films qui empiètent peu à peu sur la réalité. Simon, résolu à panser tout ce qui souffre, découvre qu'il y a des blessures irréparables. Le petit Jérémie rêve de l'incantation magique qui le délivrera de l'avenir, Violette cherche l'arme définitive qui tuera le passé. Et un homme vêtu d'une veste à carreaux rouges rôde dans la forêt.
Dans la prose ferme, exacte, chatoyante qu'on lui connaît, Monique Proulx nous donne à voir en magicienne cette nature où la vie est faite pour glisser et se dérober, où tout ce qui lève disparaît un jour. Où rien ne dure, rien. Sauf la beauté.
Née à Québec, Monique Proulx a obtenu un baccalauréat en littérature et en théâtre de l'Université Laval. D'abord animatrice de théâtre, puis professeur de français et agente d'information au siège social de l'Université du Québec à Montréal, elle est aujourd'hui connue comme romancière, nouvelliste et scénariste. En dehors de la production romanesque qu'on lui connaît, on lui doit aussi de très nombreuses nouvelles, parues dans différents recueils, plusieurs dramatiques de soixante minutes diffusées à l'antenne de Radio-Canada dont certaines dans le cadre de l'émission télévisée «Les Beaux Dimanches» (Un aller simple et Les Gens de la ville). Elle a également écrit deux pièces de théâtre, Mesdames et messieurs, l'hymne national et Vie et mort des souris vertes, toutes deux mises en scène au Théâtre La Bordée à Québec. Elle a par ailleurs écrit plusieurs scénarios, dont celui de son propre roman Le Sexe des étoiles qui, porté à l'écran par la réalisatrice Paule Baillargeon, a remporté le Prix du meilleur film canadien au Festival des films du monde de Montréal, le Prix du public au 3e Festival du cinéma québécois de Blois (France), le Prix de la critique et le Grand Prix du Festival de Marseille, le Grand Prix du public au Festival de Vancouver et le Prix du meilleur scénario au Festival international de Chicago. Cette même année, 1994, Le Sexe des étoiles était mis en nomination pour les Oscars dans la catégorie meilleur film de langue étrangère et était en lice aux Golden Globe Awards pour représenter le Canada. Elle est notamment l'auteur de Homme invisible à la fenêtre qui a inspiré le film Souvenirs intimes, réalisé en 1999 par Jean Beaudin.
Extrait :
La clé
Lila Szach aimait les chemins qui montent. Tant de choses dans la vie, y compris la vie elle-même, ne font que descendre. Elle aimait les chemins ensoleillés qui montent, et celui-ci, justement, ne montait pas. Il s'enfonçait, noir, sous des murs d'arbres compacts, il plongeait dans des entrailles végétales suspectes d'où on ne pouvait émerger qu'à moitié digéré. Déjà, des régiments d'insectes tout en dards et en vrombissements se précipitaient à leur rencontre.
Le propriétaire du chalet les attendait en bas, au fond du gouffre. Lui aussi avait son bataillon de mouches noires lui guerroyant autour, mais cela ne semblait pas l'incommoder. C'était un vieil homme. Il faut être vieux pour avoir l'habitude des gouffres. Bardés de verres épais, ses yeux de raton laveur les regardèrent approcher sans leur sourire. D'ailleurs, tout le temps que dura leur rencontre, il ne sourit pas, sauf une fois, très brièvement, lorsqu'elle mentionna qu'elle avait un chat.
Elle crut voir à côté de lui une chaloupe rouge, couchée sur le flanc comme une agonisante, et en arrière-plan de l'eau, mais elle n'aurait juré de rien tant le rideau d'insectes carnivores se faisait opaque entre l'univers et eux. Il les entraîna plus avant dans la jungle, sautillant sur les rochers glissants, acrobate aérien traînant dans son sillage des balourds peu doués, et bientôt il s'arrêta, le bras cérémonieusement tendu car le lac était devant eux, encastré dans de molles montagnes. Un lac gris et grand, cerné de vert, du vert partout, uniformément vert. Des arbres, oui, mais pas de cette espèce hospitalière qui sert à donner de l'ombre et à accompagner des collations champêtres. Non. Des choses drues, maigres, au long cou tendu avidement vers la lumière, tissées tellement serré qu'elles ne pouvaient que renfermer des créatures enragées par la claustrophobie. Le lac, dit-il. Puis, levant son autre bras : Le camp, dit-il, et ils virent que l'unique chalet était là, au fond de la baie, comme effrayé par son audace, tentant de se dissimuler parmi la végétation.
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