Extrait :
Grammaire critique du français
1. Au seuil de cette Grammaire critique du français, il convient de préciser notre vision de la langue française, de définir contrastive-ment la linguistique et la grammaire, de baliser le domaine de la grammaire dans l'enseignement.
Les incidences terminologiques et méthodologiques du partage seront examinées pour terminer.
I. LE FRANÇAIS : DE L'UNICITÉ À LA DIVERSITÉ
L'image d'une langue française unitaire relève de la fiction. En fait, plusieurs facteurs la diversifient : chronologiques, géographiques, socioprofessionnels, fonctionnels.
Savamment, on parle de «théorie des dia-» : agents diachroniques, diatopiques, diastratiques, diaphasiques.
I.I. Diversification chronologique
Le français courant charrie à sa frange antérieure un lot d'archaïsmes hérités du passé, grâce auxquels nous lisons encore Zola, Balzac, Hugo, Voltaire, Racine, plus difficilement Montaigne et Rabelais, inégalement Villon, et... presque plus, sauf apprentissage adéquat (et au risque d'«étymologies populaires» : faubourg = «en dehors du bourg» - sur fors 'hors de' - compris «faux bourg», pas de quartier = «aucune retraite» - cf. l'expression recevoir quartier libre - compris «en pièces» ou «en bouillie»...), Rutebeuf ou Chrétien de Troyes. À sa frange postérieure, quantité de néologismes : bip, biper, zapper, hooligan, loubard, parapentiste, télépaiement..., les abréviations par aphérèse : bus, car, pitaine, tiag, zique, zness..., ou par apocope : chimio, homo, info, resto, schizo..., appart, fac, intox, occase, petit déj, provoc, quadra, trouduc...
Aphérèse : chute d'une ou plusieurs syllabes au début du mot. Apocope : chute d'une ou plusieurs syllabes à la fin du mot.
La plupart des néologismes sont voués à disparaître, mais d'aucuns s'installent, tel ce réaliser au sens de «comprendre», que Proust stigmatisait.
À la recherche du temps perdu (coll. de la Pléiade, II, 273).
Je ne sais pas, je n'ai pas réalisé, me répondit [Odette] d'un air désagréable, en employant un terme traduit de l'anglais.
Qui s'offusquerait désormais de la déclaration fameuse : L'État-major a RÉALISÉ les intentions de l'ennemi = «percé, mis au jour», et non «exécuté, mis en oeuvre» ? Sur le plan individuel, 0 n'est pas rare que les différences s'accusent au point de compromettre quelquefois le dialogue des générations.
Présentation de l'éditeur :
En matière de langue française, les manuels ne manquent pas et les étiquettes se multiplient : grammaire "descriptive", grammaire "raisonnée", grammaire "structurale", grammaire "méthodique", grammaire "systématique"...
Dans cette première grammaire "critique", les analyses souvent divergentes des grammairiens traditionnels et des linguistes sont exposées, classées, comparées, jugées, corrigées ou amendées.
Au travers des classes de mots, de la phrase simple et de la phrase complexe, des "natures" et des "fonctions", l'auteur convie à une promenade intellectuelle les professeurs et les étudiants, le public cultivé et, au premier rang, les enseignants de français fatigués des inconséquences de la grammaire scolaire.
Pourquoi priver les élèves d'informations enrichissantes sur l'extraordinaire outil qu'est le langage des hommes ? Une grammaire proprement réflexive aurait sa place dans l'enseignement. Elle entraîne à la méthode, à la rigueur, au jeu linguistique, à la spéculation, à l'invention et contribue au maniement déculpabilisé du français écrit, du français parlé.
L'ouvrage a obtenu en 1998 le Prix Logos de l'AELPL (Association Européenne des Linguistes et des Professeurs de Langue) et en 2009 le prix Honoré Chavée de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Marc Wilmet
Il enseigne la linguistique à l'Université de Bruxelles. Ses travaux lui ont valu le Prix Francqui, la plus haute distinction scientifique décernée en Belgique.
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