Extrait :
Extrait de l'introduction
Deviner ainsi l'existence ou les propriétés d'objets qui sont encore au-delà de notre connaissance, expliquer du visible compliqué par de l'invisible simple, voilà la forme d'intelligence intuitive à laquelle, grâce à des hommes tels que Dalton ou Boltzmann, nous devons l'atomistique...
Introduction du livre de Jean Perrin, Les Atomes (1913).
La dame dans l'assistance était têtue. «Avez-vous jamais vu un atome ?» insistait-elle... Ma réponse à cette épineuse question commence toujours par une tentative de généraliser le mot "voir"... Finalement, en désespoir de cause, je demande : «Avez-vous jamais vu le pape ? Oui, bien sûr, est la réponse habituelle. Je l'ai vu à la télévision». Vraiment ? Ce que la dame a vu était un jet d'électrons frappant le phosphore étalé sur la face interne d'un écran en verre. Ma preuve concernant l'atome ou le quark est tout aussi bonne.
Les choses qu'on ne voit pas existent-elles ou ne sont-elles que pures constructions de l'esprit ? Et celles qu'on «voit» ? Si on les «voit», c'est que l'oeil reçoit de la lumière émise ou reflétée par l'objet et transmet par le nerf optique des signaux au cerveau qui doit alors les interpréter. Les mêmes objets peuvent donc être perçus différemment suivant les personnes (et les animaux). Le ciel analysé en ultra-violet ou infrarouge est-il «vu» ou pas ?
Les pères Noël, les fées, les djinns et les atomes font tous partie de la catégorie des choses non vues, or ils n'ont pas le même statut. Certaines constructions de l'esprit correspondent à des mythes, d'autres pas.
A la fin de la Renaissance, un débat féroce opposait Galilée (1564-1642) à ses détracteurs : qu'est-ce qui prouvait que les satellites de Jupiter ou les montagnes de la Lune étaient réels puisqu'on ne pouvait les voir qu'à travers la lunette ? Aujourd'hui l'opinion s'est habituée à considérer comme réelles des «choses» pourtant invisibles à l'oeil nu. Par exemple, on sait que le courant électrique circule dans un fil parce qu'une ampoule s'allume ou que l'aiguille d'un ampèremètre dévie, que les ondes électromagnétiques existent parce qu'un poste de radio fonctionne ou qu'un four à micro-ondes chauffe. A chaque fois un effet visible, ou en tout cas sensible, se manifeste qui «prouve» la réalité de ces invisibles. Mais cette «démonstration» ne vaut que parce qu'elle repose sur des théories indiscutées, elles-mêmes reposant sur des millions de faits expérimentaux dont elles ont bien rendu compte jusque-là.
On fait maintenant confiance aux instruments et aux théories existantes pour transformer de l'invisible en signaux sensibles et interprétables. Il y a bien longtemps qu'il n'y a plus, en physique, de données expérimentales brutes, directement visibles ; toutes renvoient à un ensemble très chargé d'autres expériences et théories. Un exemple extrême est l'existence du boson de Higgs : ce qu'ont finalement «vu» les physiciens du CERN, à la suite du traitement de milliards de données, est une (toute petite) bosse sur une courbe d'écran d'ordinateur. On est très loin d'une photo !
Le degré de certitude des théories et des appareillages qui ont permis de «voir» ce boson n'est certes pas celui des théories et des appareillages permettant aujourd'hui de «voir» les atomes d'un métal et encore moins celui qui permet de «voir» le pape à la télévision. C'est toute la différence entre la science en train de se faire et la science faite. Ce n'est pas une différence de nature.
Présentation de l'éditeur :
Mal aimée, mal comprise, parfois crainte, la science est également malmenée par les tenants du « tout se vaut » qui la ravalent au rang d'opinions, voire de simples croyances. On y croit ou on n y croit pas, à chacun sa vérité... Dans un langage plus recherché, certains voient dans la science une «narration du monde » socialement construite, propre à une époque et à une région du monde, et dont les prétentions à l'objectivité sont abusives. C'est ignorer à quel point la démarche qui conduit à la vérité scientifique est particulière. Les auteurs font revivre les débats suscités pendant deux mille cinq cents ans par cette question primordiale : la matière est-elle une substance continue, ou est-elle formée de briques indivisibles, les atomes ? En retraçant les dernières étapes de sa résolution, ils montrent comment la science se construit, au milieu des controverses, et grâce à elles. Ce n est jamais un fait isolé qui emporte l adhésion des scientifiques, mais la façon dont une théorie nouvelle s insère dans le réseau dense et imbriqué de tous les faits connus, et apporte sur eux un nouvel éclairage. Après s être plongé dans cette histoire de la découverte de l atome, après avoir partagé les doutes et les certitudes de ses acteurs, qui pourrait encore accorder le moindre crédit aux thèses de ceux qui n étudient la science que de l extérieur et qui, lorsqu une théorie finit par s imposer, « expliquent » ce succès par des jeux de pouvoir, quand ce n est pas par une bonne stratégie de « com », bien dans l'air du temps ?
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