Extrait :
Alice était une jeune femme élancée et blonde, que sa grossesse avait illuminée.
Mince, musclée, les cheveux flamboyants et ondulés, le visage aigu et les yeux verts en oblique, sa mère inquiétait les bonnes gens. Outre ses incontestables dons de rebouteuse, on lui prêtait des pouvoirs occultes. D'où son surnom, la Talaurina, la salamandre en patois, la bête diabolique qui survit aux flammes. Elle ne détestait pas cette méfiance qui la garantissait contre les mauvais payeurs et autres malveillants.
Elle arriva essoufflée à la maison de sa fille, une bâtisse de granit à l'élégance fruste.
- Alice ! cria-t-elle. Alice, où es-tu ?
- Ici, dans la grande salle... Je crois que ça y est. J'ai mal.
- Je suis là. Je vais te délivrer. Le loup, il pourrait rameuter les hommes, poursuivit-elle, une pointe de rancoeur dans la voix.
Elle n'aimait pas Jean Charzol, son gendre, ex-capitaine de l'Empire démobilisé en 1816 comme des milliers d'officiers, avec traitement réduit. Un «demi-solde», disait-on. Elle n'appréciait pas davantage ses compagnons de travail, eux aussi anciens soldats, plus ou moins estropiats. Mais un accouchement comportait des risques. Il lui fallait de l'aide. La Mère Puchat, qui tenait la maison de Largnac ? Elle l'avait vue passer devant chez elle avec le char-à-banc, allant vers La Chaise-Dieu. La matrone de la Souchère, alors ? Sa présence ne serait pas un luxe, mais comment la prévenir ? Le village était au bord de la Dorette, en contrebas, à un quart d'heure de marche par les bois. Personne pour aller la chercher. Aucun de ces incapables n'était là.
- Quelle heure est-il ? demanda la parturiente.
- L'angélus va bientôt sonner.
- Alors, ils vont rentrer pour le repas.
Dans son état, pas question de faire monter Alice dans sa chambre au premier étage. Et puis, il valait mieux se trouver près du feu et de la pierre d'évier, pour l'eau chaude. Sa fille accoucherait là. Les contractions avaient dû commencer des heures auparavant. Pourquoi donc avait-elle attendu le dernier moment pour prévenir ? La Talaurina poussa la grande table des repas contre le mur et y installa sa fille, le dos calé dans des oreillers. Elle la déshabilla, la palpa. Son ventre n'était pas rond comme la veille, mais bosselé. Rien de plus normal puisqu'elle avait perdu les eaux, mais la rebouteuse, dont les mains devinaient tout des corps vivants, ne parvint pas à déterminer si l'enfant s'était bien retourné. (...)
Présentation de l'éditeur :
Haut-Velay, 1818. Alice Charzol vient d'accoucher de jumeaux : Édouard et Faustine.
L'éducation des enfants est inhabituelle. Faustine, formée à la sorcellerie par sa grand-mère rebouteuse, apprend le tir au pistolet avec son parrain. De son côté, Édouard est formé à l'art du sabre et du bâton... Tout pour éveiller la méfiance des villageois. Ils ont dix-sept ans quand leurs parents meurent dans des circonstances tragiques. Accusé de meurtre Édouard est envoyé au bagne. Quelques années plus tard, ses qualités de sabreur conduisent Vidocq, chef de la Sûreté, à le faire libérer pour l'engager dans son équipe. Ses succès en font un policier apprécié.
Un jour, il reçoit une lettre de sa soeur, qui peine à faire fructifier le domaine familiale sans l'aide des « estropiats » jadis engagés par son père. Il vole à son secours et découvre les manoeuvres d'Alfred du Buisson, le notaire véreux, pour acculer sa soeur à la ruine... L'heure de la revanche a sonné.
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