Extrait :
Emma Viguier, Sabyn Soulard, Jérôme Moreno
Reliquiae : envers, revers et travers des restes
Cheveux, poils, dents, os, rognures d'ongles, sang, sperme, lait, urine, merde, salive, mais aussi reliquats de peau, de chair, d'organe sont proprement des reliques du corps en tant que «matières» qui en sont directement issues. Néanmoins, cette matérialité du corps ne doit pas occulter le fait que la relique peut être un objet ou un matériau en contact avec le corps : linge, vêtement, objet personnel (archives, documents, photographies, etc.).
À ce titre, penser la relique, c'est d'abord prendre en compte sa matérialité, son statut lacunaire de fragment, de rebut. Elle est trace réelle. Elle fait présence, signe une présence et suscite une pluralité d'ancrages historiques, culturels et cultuels, n'excluant pas nombre de réappropriations relevant de corpus variés.
Traditionnellement, le terme latin reliquiae «indique que c'est ce qui nous reste d'un saint ; os, cendres, vêtements, et qu'on garde respectueusement pour honorer sa mémoire.» Cela souligne le statut indiciel de la relique et sa possible dimension métonymique. Il nous semble par ailleurs pertinent de convoquer cette autre définition proposée par l'abbé Migne dans son Encyclopédie théologique, qui à la fois nuance et prolonge ce qui précède : la relique «signifie tout ce qui reste d'un saint». Cet ancrage théologique - légitimement revendiqué -prend en compte la totalité des restes, en cela brouillant toutes distinctions de valeur quant à leur provenance (qu'il s'agisse d'ossements, de souillures organiques ou de linges maculés). Quoi qu'il en soit, ces deux définitions pointent de toute évidence la sacralisation de ces restes : saintes reliques, elles sont conservées dans de précieux reliquaires ou dans des châsses faisant généralement l'objet de cultes religieux (recueillements, dévotions, processions, pèlerinages, etc.).
Cependant, ces pratiques cultuelles, même en ces temps anciens, sont plus ambiguës qu'il n'y paraît du fait d'un inévitable ancrage politique et de fait, indissociable d'une réalité sociologique : la matérialité et l'authenticité de l'origine de la relique s'avèrent ad finem mineures en regard de la vénération, voire de l'idolâtrie, que cette dernière génère. Advient dès lors une tension entre la chose, la trace ou l'inscription d'un passage dans le réel (c'est la valeur de l'index) et sa représentation ou sa signification : il y a ainsi un «équilibre instable de la relique entre le saint dont elle est le reste et l'image qui en est le substitut».
La relique s'homologue donc à son pouvoir supposé quel que soit son «corps». Néanmoins investie d'une présence efficiente, donc d'une force, elle signe la virtualité d'un corps inventé. La vérité proclamée par l'autorité ecclésiastique que conforte la dévotion des fidèles construit un espace de confusion entre authenticité et simulacres ; ce que Jean Calvin proclamait avec virulence dans son Traité des reliques dès 1543 : «Tout y est si brouillé et si confus qu'on ne saurait adorer l'os d'un martyr, qu'on ne soit en danger d'adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d'un âne ou d'un chien ou d'un cheval.»
En effet, malgré les suspicions et les preuves irréfutables démontrant la fausseté de certaines reliques, celles-ci possèdent en leur coeur une «authenticité irrationnelle» basée sur la foi et la consécration de l'Église. «À la vérité, la critique qui propose des règles de plus en plus strictes pour authentifier des reliques n'a aucunement freiné la soif de guérison et de miracle qui s'attache à celles-ci», soulignent Philippe Boutry, Pierre Antoine Fabre et Dominique Julia. «La relique reste hors d'atteinte de la fausseté ou de l'erreur. Il importe peu qu'un os ait effectivement été celui de sainte Madeleine ou qu'un chapeau ait réellement coiffé le chef de Napoléon, pourvu qu'ils soient reconnus comme tels8», écrit à son tour Yves Gagneux.
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Présentation de l'éditeur :
Sous la direction de Emma Viguier, Sabyn Soulard et Jérôme Moreno
Penser la relique, c'est d'abord prendre en compte sa matérialité - son corps -, son statut lacunaire, de fragment, de rebut. Elle est trace réelle. Elle fait présence et signe une présence.
Traditionnellement, la relique est définie comme «ce qui reste du corps des saints». Par extension son nom est également donné aux objets ayant appartenu à un saint ou ayant été en contact avec son corps. Saintes reliques, elles sont conservées dans de précieux reliquaires ou châsses faisant généralement l'objet de cultes religieux. Cependant, cette ritualisation ne relève pas des seuls monothéismes mais s'actualise également dans d'autres pratiques cultuelles exogènes. La relique est avant tout un reste, un fragment lié à l'absence, au deuil, pouvant susciter une pluralité d'ancrages et/ou réappropriations relevant de corpus variés. De toute évidence, les arts contemporains s'emparent de la relique dans une acception assez large - reste corporel, objet, document, trace, survivance, etc. Des saintes reliques aux reliques artistiques, quelles appropriations, quelles réactualisations, quels ancrages ou «dés-ancrages» matériels, immatériels, culturels, cultuels, symboliques seraient alors (ré)activés ?
Les différentes contributions de cet ouvrage questionnent les enjeux traditionnels de la relique abordés à l'aune de regards transdisciplinaires. Sont privilégiés des croisements fertiles, innovants, dynamiques, en lesquels déplacer et dialectiser les richesses matérielles, plastiques, esthétiques et sémantiques de ce corpus. En interaction avec l'exposition Le sang des Limbes de sabyn (exposition organisée par le CIAM à La Fabrique culturelle du 29 janvier au 16 février 2013, université Toulouse - Jean Jaurès), l'ouvrage Reliquiae : envers, revers et travers des restes affirme la volonté d'articuler pleinement pensée théorique et création artistique.
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