Présentation de l'éditeur :
Les études postcoloniales se sont imposées comme un courant important des études culturelles et de la recherche en sciences sociales de langue anglaise.
Il est de plus en plus reproché à l'Université française de les ignorer, alors que des militants et des historiens engagés interprètent la crise des banlieues dans les termes d'une " fracture coloniale " plutôt que sociale. Ce mauvais procès n'est pas fondé. Il occulte toute une tradition d'écrits et de travaux qui ont perpétué en France une pensée critique sur la colonisation. Il tient pour acquise la contribution scientifique des études postcoloniales, qui certes ont pu être utiles, dans leur diversité, mais qui sont largement superflues au regard des apports d'autres approches.
Surtout, les études postcoloniales restent prisonnières du culturalisme et du récit national dont elles prétendaient émanciper les sciences sociales. Et elles s'interdisent de comprendre l'historicité des sociétés, celle du moment colonial, celle enfin de l'éventuelle transmission d'un legs colonial dans les métropoles ou dans les pays anciennement colonisés. Leur reconsidération fournit l'opportunité, d'ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour l'analyse de l'Etat, au croisement de la science politique, de l'histoire, de l'anthropologie et de l'économie politique.
Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS (Sciences Po-CERI), président du Fonds d'analyse des sociétés politiques, est notamment l'auteur de L'État au Cameroun (1979), L'État en Afrique. La politique du ventre (1989, 2006 pour une nouvelle édition augmentée), L'Illusion identitaire (1996) et Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation (2004). Il est également le co-auteur ou le directeur de plusieurs ouvrages, notamment Le Politique par le bas en Afrique noire (1992, nouvelle édition augmentée en 2008). Dans cet essai érudit et incisif, il poursuit sa réflexion personnelle sur l'historicité de l'État, selon les termes de la sociologie historique comparée du politique dont il est une figure internationalement reconnue.
Extrait :
Les études postcoloniales, un carnaval académique
«La conceptualisation des phénomènes historiques [...] n'enchâsse pas [...] la réalité dans des catégories abstraites, mais s'efforce de l'articuler dans des relations génétiques concrètes qui revêtent inévitablement un caractère individuel propre.»
En quelques années, et même peut-être quelques mois, dans la foulée des émois banlieusards de 2005, les termes de «postcolonial» et de «postcolonialité» se sont imposés dans le débat intellectuel et politique en France. Les milieux scientifiques ou universitaires ne sont plus à l'abri des polémiques que leur usage a déclenchées. Une revue peut ainsi parler d'une «bibliothèque postcoloniale en pleine expansion». Ces mots ne se sont pas clarifiés pour autant, y compris sur le plan de leur simple orthographe. Doit-on écrire postcolonial ou post-colonial ? C'est selon, nous dit Akhil Gupta : postcolonial pour désigner ce qui vient chronologiquement après la colonisation, et post-colonial pour «penser le postcolonial comme tout ce qui procède du fait colonial, sans distinction de temporalité». Quand le post-colonial est-il censé débuter ? «Quand les intellectuels du Tiers Monde sont arrivés dans les universités du monde développé», répond mi-figue mi-raisin Arif Dirlik, à peine moins ironique que Kwame Anthony Appiah : «La postcolonialité est la condition de ce que nous pourrions appeler un peu méchamment une intelligentsia compradore : un groupe relativement restreint d'écrivains et de penseurs de style occidental et formés à l'occidentale, qui servent d'intermédiaires dans le négoce des produits culturels du capitalisme mondial avec la périphérie.»
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