Extrait :
La veille, après avoir quitté la gare, Basilio s'était aventuré au hasard, parmi les rues.
Vers le soir, fatigué, il avait franchi les grilles du jardin du Luxembourg et s'était assis sur un banc, un peu à l'écart des allées. La nuit était tombée.
Il avait fini par fermer les yeux, et sans doute avait-il dormi par instants, le coude posé sur sa valise, son carton à dessin sur les genoux.
Plus tard, dans l'incertitude des heures, il avait guetté la venue du jour en frissonnant, les avant-bras ramenés contre le torse.
Enfin, il y avait eu le chant des merles et des fauvettes juste avant le souffle balbutié de la lumière.
C'était une drôle de journée qui commençait, se disait Basilio.
Deux semaines plus tôt, il s'était rendu au couvent Santa Clara pour montrer son travail achevé au père Eusebio.
Ils s'étaient retrouvés dans le clair-obscur du réfectoire dont la plupart des vitrages avaient été brisés. Basilio avait déroulé sa peinture sur un bout de table. Le curé l'avait étudiée longuement, en variant les distances de vue. De temps en temps, il levait la tête et Basilio pouvait remarquer combien ses yeux brillaient.
Alors, avait demandé Basilio après un temps.
Le père Eusebio n'avait rien répondu. Il avait poursuivi son étude en silence, s'approchant, s'écartant, avec un regard vers Basilio de temps à autre.
Il avait demandé à garder la peinture une heure ou deux, et ne l'avait rendue à Basilio que vers midi, à la Taverne.
Dis-moi, Basilio, avait-il demandé en se faufilant à ses côtés, est-ce que tu as entendu parler de Picasso ? Picasso ?
Oui. Un artiste peintre. Espagnol. Non. Jamais entendu ce nom.
C'est un grand artiste, bien connu ici en Espagne et même en Europe. Ah bon.
Il se trouve qu'on lui a passé commande pour une exposition très importante qui va se tenir bientôt à Paris. L'Exposition internationale des arts et techniques, ça s'appelle.
Basilio avait continué à tremper son pain dans son assiette de soupe, sans comprendre où le curé voulait en venir.
Eh bien, il paraît qu'il veut réaliser une oeuvre sur ce qui s'est passé ici. À Guernica. C'est Felipe, mon ami journaliste qui me l'a dit.
Présentation de l'éditeur :
Guernica, avril 1937. Jeune peintre autodidacte, Basilio passe son temps dans les marais à observer des hérons cendrés. Ce n'est pas qu'il se sente extérieur au conflit, il a même cherché à s'enrôler dans l'armée républicaine. Mais tandis que les bombardiers allemands sillonnent déjà le ciel, il s'acharne à rendre par le pinceau le frémissement invisible de la vie, dans les plumes d'un de ces oiseaux hiératiques. Dans quelques heures, Guernica sera une ville en cendres, mais c'est un peintre autrement célèbre qui va en rendre compte, magistralement.
L'un comme l'autre, pourtant, le petit peintre de hérons tout autant que le Picasso mondialement connu, nous interrogent sur les tragédies de la guerre et la nécessité de l'art pour en témoigner.
Avec intensité et humanité, Antoine Choplin fait une nouvelle fois vibrer le souffle de l'Histoire, dans la lignée notamment de ses romans Radeau et L'impasse, publiés aux Editions La Fosse aux Ours. Au Rouergue, on a lu de lui Cour Nord, en 2010.
Né en 1962, Antoine Choplin vit près de Grenoble, où il partage son temps entre l'écriture et l'action culturelle. Il s'est fait connaître en 2003 lors de la publication de son roman, Radeau (La Fosse aux Ours, 2003), qui a connu un vrai succès populaire (Prix des librairies «Initiales», Prix du Conseil Général du Rhône). Parmi ses derniers titres : Léger Fracas du Monde (La Fosse aux Ours, 2005), L'impasse (La Fosse aux Ours, 2006), Cairns (La Dragonne, 2007), et Apnées (La Fosse aux Ours, septembre 2009). Il publie pour la première fois dans la brune.
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