Revue de presse :
«Il fallut mettre le cercueil sur la tranche» : ce constat bref et pragmatique, dont l'absurde renforce le tragique, ouvre le cinquième roman de Pascal Morin où l'enterrement d'une femme obèse joue le rôle d'«événement déclencheur» pour tous les personnages. Résolument contemporain par les situations qu'il agence, le vocabulaire qu'il utilise et les préoccupations qui habitent ses personnages, Comment trouver l'amour à cinquante ans quand on est parisienne (et autres questions capitales) s'inscrit, dès son titre, dans une tradition littéraire décrivant le réel pour mieux en «rompre l'os et [en] sucer la substantifique moelle», selon l'expression de Rabelais...
«Changer de vie à Paris, cela revient à changer de ville, découvre Jérôme Lesdiguières. On peut, du jour au lendemain, fréquenter d'autres lieux, rencontrer d'autres personnes. Recommencer ailleurs, tout en restant sur place. Oui, Paris permet cela.» Cette ville, «c'est notre peau. Tout est possible», conclut Catherine Tournant, lors du final qui rassemble tous les protagonistes. Chacun sort enfin de son rôle pour se réconcilier avec lui-même et accéder à ce que Pascal Morin n'hésite pas à désigner comme le bonheur, un bonheur communicatif grâce au talent de l'auteur. (Aliette Armel - Le Magazine Littéraire, janvier 2013)
Evitons la méprise ; Pascal Morin ne se contente pas de faire un cours sur l'amour qui change la donne et sur la quête du bonheur, il offre une leçon à la Machiavel, cité en exergue : "Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point." En fait, le romancier réfléchit sur la posture et l'imposture en gardant un ton joyeusement distancé. En quelque deux cents pages, il compose une comédie humaine poil à gratter où il parle de racisme et d'exil, des Parisiens et des provinciaux, des bienfaits de la psychanalyse et des petites annonces. La lecture de ce roman initiatique qui détourne les clichés se révèle pétillante et ludique, portée par un rythme de comptine et une impertinence de contenu. (Christine Ferniot - Lire, janvier 2013)
Pascal Morin, qui rompt lui aussi avec son passé - l'inspiration de ses quatre premiers romans était plutôt sombre -, prend en revanche le contrepied de son héroïne en mêlant joyeusement culture et divertissement, joue avec gourmandise de la magie des hasards et des canons romanesques, et réussit une fable aussi savoureuse que brillante. Un marivaudage plus profond qu'il n'y paraît...
La phrase est alerte, la langue d'un classicisme léger, et le lecteur, emporté par cette ronde étourdissante, se dit que décidément la lecture est une fête. (Michel Abescat - Télérama du 16 janvier 2013)
Faussement frivole, il cache bien son jeu littéraire. Soit un pertinent portrait de notre époque à travers les questionnements et les rencontres d'une prof de français en Seine-Saint-Denis, et qui aborde avec malice les rapports de classes et de générations, le racisme, la famille, la psychanalyse, l'amour, bien sûr... (Delphine Peras - L'Express, février 2013)
'écriture de Pascal Morin surprend d'abord, elle aussi, par la façon dont elle paraît obéir à la mécanique narrative la plus conventionnelle, et se couler dans une forme un peu surannée. Le roman semble s'exhiber comme forme traditionnelle et vieillie d'écriture, à la manière de son héroïne...
Mais, rapidement, la mécanique trouve dans son propre excès les ressources pour s'emballer, le récit se met à virevolter, emportant avec lui, ironiquement et affectueusement, la quinquagénaire. Il met à mal ses habitudes et la confronte à ses préjugés. " (Florence Bouchy - Le Monde du 7 février 2013)
Extrait :
Il fallut mettre le cercueil sur la tranche. Il ne passait pas, à l'horizontale, par la porte de l'emplacement maçonné qui lui était réservé, dans la haute paroi d'alvéoles de béton de la «section des indigents» du cimetière. La défunte était tellement grosse.
Catherine Tournant, debout, sérieuse et vêtue de noir, se trouva saisie par l'horreur de la situation. Elle qui, quelques secondes plus tôt, ironisait mentalement sur le décès de Sylvia Jackowska, mère de son élève Natacha, se fit une image trop précise de l'intérieur de la boîte pour rester détachée. Aussi arrêta-t-elle le flot de pensées cyniques qui affleuraient à son esprit. En d'autres circonstances, elle se serait abandonnée à formuler une remarque lapidaire à l'encre rouge dans la marge de la scène qu'elle était en train de vivre. Elle aurait laissé libre cours à cette pure manifestation de sa déformation professionnelle. Mais, ce jour-là, elle ne se le permit pas.
«Ça m'écoeure !» se disait de son côté Natacha Jackowska. Sa mère ne reposerait donc pas comme un gisant, allongée sur le dos, les mains jointes sur le ventre. Non, la position serait humiliante pour l'éternité. Sa mère, de toute façon, n'avait jamais été comme tout le monde. Elle était énorme. Un phénomène. Le cercueil, de la plus grande taille disponible dans les stocks municipaux, était plein de son corps, non pas comme un lit, mais comme un baquet. Et Natacha Jackowska avait cette vision en tête. Sa mère liquide. Emplissant le cercueil jusqu'au couvercle, heureusement étanche, jusqu'aux rebords, comme une terrine trop grasse. Sa mère, dans la mort même, était une marginale. Elle le savait depuis toujours. Dès son enfance, elle l'avait compris. Et Natacha Jackowska, élève de terminale littéraire au lycée Saint-John-Perse d'Aulnay-sous-Bois, où elle trimait pour de maigres résultats, oui, Natacha Jackowska, fille de cette émigrée polonaise étouffée par son propre corps devenu difforme, orpheline désormais depuis soixante-douze heures, esquissa, pour la première fois depuis longtemps, un sourire.
Catherine Tournant le remarqua. Elle se demanda ce qui pouvait, en un instant pareil, en être la cause. Malgré l'aide concrète qu'elle lui avait apportée, en l'accompagnant à la mairie pour faire les démarches auprès des services funéraires et en lui arrangeant un rendez-vous avec une assistante sociale, elle ne s'était pas véritablement intéressée à Natacha Jackowska. Elle s'en fit mentalement le reproche : «Dois être plus attentive aux autres.» Et puis, elle était bien décidée à savoir ce qui amusait la jeune fille, au milieu de tant de misère.
Natacha Jackowska se ressaisit sur-le-champ et reprit le visage impassible d'enfant triste qu'elle avait toujours porté comme un masque. Elle était majeure depuis deux mois déjà. Elle avait eu dix-huit ans en juillet. Elle avait redoublé son CM2, mais jamais depuis. C'est toujours de justesse qu'elle était passée dans la classe supérieure et elle n'avait pas intégré la filière littéraire par choix mais par calcul : elle était totalement nulle en mathématiques et elle parlait le polonais. Deux raisons qui avaient convaincu ses professeurs de la pousser dans cette voie dont elle ne voyait pas l'intérêt. Elle n'aimait pas lire, pas écrire, et elle ne supportait les interminables cours de philosophie qu'en se réfugiant dans un monde fantasmé de liberté absolue et de règlements de comptes violents, toujours muette et lisse, effacée. Elle ne comprenait pas très bien pourquoi Catherine Tournant s'occupait d'elle.
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