Extrait :
Je me trouve dans la cuisine ce matin-là, à scruter le ciel, lorsque mon père se réveille. Quand il se lève, on a l'impression que la maison va s'écrouler, le vacarme qu'il produit est à peine croyable. Il se cogne contre les murs tout en crachant ses poumons de gros fumeur, parfois il tombe à cause de la cuite de la veille, il lâche une galette dans le lavabo et ensuite va se vider la vessie tout en lâchant un bon gros pet. Je peux vous dire qu'après ça je suis d'attaque.
Une fois les escaliers descendus, il me dit bonjour et me demande si j'ai bien dormi. Mon père me parle très peu, mais chaque matin, c'est la même question : savoir si j'ai passé une bonne nuit. Ce n'est pas grand-chose, mais ça m'aide à passer la journée.
Il est assis devant moi, fume sa cigarette, le regard dans le vide. Un visage ravagé par la vie et l'alcool, c'est un déchet mon père, et pourtant je le trouve beau, je le trouve incroyablement beau.
Il ne travaille pas, il passe ses journées à boire, regarder la télé et dormir. Il est dépressif à plein temps.
Il y a quelques mois de ça, je l'ai menacé de partir s'il continuait à boire. Mais ça n'a rien changé. Il planque ses bouteilles soit dans le four, soit sur une vieille étagère dans la grange. Quand je tombe dessus, je les jette dans le bois d'à côté. Mon père s'est bien rendu compte que j'ai trouvé ses cachettes à pinard, et pourtant il n'en cherche pas d'autres. Je ne comprends pas pourquoi. Ça m'amuserait presque de chercher ses foutues bouteilles, mais je ne suis jamais surpris, elles se trouvent toujours soit dans le four, soit dans la grange. Il se dit peut-être que je vais me lasser de les lui balancer. Mais je persiste, et à l'heure qu'il est une centaine de bouteilles doivent terminer leur affinage dans le bois derrière chez nous. Si un mec tombait dessus, il pourrait se faire une cave à vin bien remplie.
Mon père se lève toujours quelques minutes après moi, juste pour me tenir un peu compagnie avant que je parte pour l'enfer. Il sait à quel point c'est dur pour moi d'aller à l'école, et il compatit. Deux choses m'empêchent de crever le matin : la compagnie de mon père et ce rêve qu'un jour je serai vagabond. Souvent, je repense à cette citation de Bob Dylan : «Le bonheur ne se trouve pas au bout de la route, quelle quelle soit, car il est la route même.» Je lui prends la tête, à mon père, avec cette phrase. Je veux qu'il parte, qu'il prenne sa route, je suis persuadé que c'est le seul remède à son mal. Mais lui me rétorque : «Si c'est pour finir comme ce vieux croûton de Dylan, non merci.» Il a trouvé un bon argument, le bougre...
Présentation de l'éditeur :
Pierre vit seul avec son père dans une maison perdue en pleine montagne, loin de tout.
Son père, c'est ce type qui fascine et qui inquiète aussi.
Mais pour Pierre, c'est autre chose : un amour démesuré, compliqué mais sincère.
Une vie qui ne ressemble à rien d'autre...
Ce roman, c'est un peu son journal, avec ses dessins jetés sur la page, au stylo noir, comme s'il était pressé de nous montrer et de nous raconter son histoire.
Celle de Pierre Deschavannes.
Pierre Deschavannes est né le 25 décembre 1986 à Lyon et a grandi à St Genis-Laval. Après des études d'infographie et un stage dans le domaine du graphisme publicitaire, il décide de se consacrer à d'autres projets comme la musique ou le dessin. Belle gueule de bois, écrit en 2011, est à l'origine un court roman graphique qui petit à petit deviendra un roman «illustré», largement inspiré par sa relation avec son père. Pierre Deschavannes vit aujourd'hui à Toulouse.
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