Revue de presse :
Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman, sinon la routine d'un veuf à la retraite, mi-mondain, mi-hautain, pour qui l'oisiveté ouvre sur un gouffre d'angoisses alternant avec des phases euphoriques. Cependant le charme opère, grâce à la succession de saynètes tantôt absurdes, tantôt burlesques et au talent de Leslie Kaplan qui capte à la source un flot de réflexions ordinaires où l'incongru se marie au trivial, où la logique se dérègle. (Macha Séry - Le Monde du 23 août 2012)
C'est qu'il se détache, «Millefeuille», des êtres et des choses, et bientôt va mourir. Il le sent et le craint, ne le refuse, ni ne l'accepte. Quelques malaises, autant d'oublis, des peurs infondées, comme elles le sont souvent, lui rappellent, s'il le fallait, qu'il n'est plus dans la force de l'âge. Le long de rues qu'elle connaît comme sa poche pour y avoir passé son enfance, Leslie Kaplan brosse, dans le 17e livre qu'elle publie chez P.O.L., le portrait sensible et délicat de cet homme tourmenté par son déclin prochain...
De cette tragédie ordinaire, Leslie Kaplan fait émerger une délicieuse figure romanesque, tantôt balzacienne, «portant beau (...), souvent là en train de lire son journal», tantôt flaubertienne - «Félicité c'est moi», ironise-t-il sur la mort solitaire de la vieille servante d'Un coeur simple. (Fabienne Lemahieu - La Croix du 13 septembre 2012)
Avec son patronyme parfaitement improbable, Jean-Pierre Millefeuille se présente à la fois comme un personnage de papier et comme une personne de chair, à l'image de mille autres. Le dix-septième roman de Leslie Kaplan montre l'auteur une nouvelle fois au plus haut de son art. Par sa façon inégalable de faire tourner sa figure centrale sous différents éclairages. Par sa manière d'en circonscrire la mélancolie profonde. Enfin par l'affectation d'impassibilité de la langue et le rigoureux tombé de la phrase...
Leslie Kaplan a choisi l'imparfait et le passé simple pour dessiner le vieil homme déjà sorti du présent. Entre autres hanté par la figure du roi Lear, le souverain shakespearien qui avait trouvé dans la folie une façon de mourir au monde. Un réseau de sens ainsi se tisse, qui donne à ce texte sur l'absence dernière une formidable dimension humaniste. (Jean-Claude Lebrun - L'Humanité du 18 octobre 2012)
Ce livre porte bien son nom. Il se coupe difficilement, mieux vaut l'avaler d'une traite. Et il laisse des miettes partout, d'infimes particules dont on ne mesure pas tout de suite la portée, mais qui sont précieuses et tenaces...
Somnambule, flottante, l'écriture de ce roman s'approche de la mort à pas feutrés. Phrases étouffées qui tournicotent autour d'idées trop douloureuses, raccourcis de pensées qui sont le privilège de l'âge, accès d'autodérision déchirante : les ruminations de ce personnage digne de Tati empruntent mille chemins... (Marine Landrot - Télérama du 31 octobre 2012)
Extrait :
Quand je l'ai connu, Jean-Pierre Millefeuille habitait déjà depuis longtemps rue Antoine-Bour-delle, une petite rue à côté de la gare Montparnasse. Je l'ai rencontré parce qu'à ce moment-là j'allais souvent au musée Bourdelle, et je prenais un café avant ou après à la brasserie qui fait l'angle avec l'avenue du Maine. Un vieux monsieur, grand, bien mis, portant beau comme on dit dans Balzac, souvent là en train de lire son journal, de rêver. Pas timide, plutôt bavard. Conversation, échanges. Et tout de suite, étonnement, de part et d'autre. On sait que la ville réserve toujours, et par définition, des surprises, mais on n'y croit jamais, à la rencontre, avant qu'elle n'arrive. Bref, séduction réciproque. Moi je venais de perdre mon père, alors les vieux messieurs... et lui, il me l'a dit très vite, me trouvait, ah, intéressante, un de ses mots préférés. C'était un professeur à la retraite, il avait enseigné la littérature, avec plaisir, avait écrit quelques livres, participé à quelques manuels. Pas amer, pas aigri. Oxygène.
Il m'invita chez lui. Il recevait souvent, un peu n'importe quand, beaucoup de passage, des amis, des anciens élèves, des jeunes, des moins jeunes. Grandes discussions, la littérature, l'art, la politique, l'époque.
C'était un moment bizarre. On est toujours dedans, d'ailleurs. Un flottement général, mais en même temps, lourd, pas léger, au contraire les choses, toutes les choses, semblaient en train de durcir, durcies. On ne s'y retrouvait pas, personne ne s'y retrouvait. La phrase de Hamlet, The time is out of joint, Le temps est hors de ses gonds, me venait souvent à l'esprit, une fois je le dis à Millefeuille, et lui, grand Shakespearien, il citait, récitait par coeur, il s'écria, Exactement. Plein de petits cercles dans les coins, mais pas d'ensemble. On parlait souvent du collectif, les jeunes surtout en parlaient, oui mais comment. On ne voyait pas.
Millefeuille ne demandait que ça, rencontrer des jeunes, se poser des questions avec eux, les écouter, il avait ça pour lui, pas du tout le vieux crispé sur ses acquis de pensée, ses habitudes. Une fois j'allais chez lui avec Zoé, la fille d'une amie, à une soirée organisée par quelques anciens élèves. Beaucoup de monde. Après Zoé me dit, avec la manière brutale et précise qu'elle pouvait avoir, Je ne sais pas si je l'aime, non, vraiment je ne sais pas.
Pourtant elle retourna le voir, et emmena même Léo, un amoureux. C'est là que tout a commencé.
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