Extrait :
«Je décrirai brièvement, et dans l'ordre, ces cours d'eau, en commençant par le Jarama : sa source se trouve dans le gneiss du versant sud de la Somosierra entre les hauts de la Cebollera et de l'Excomunión. Son cours touche à la province de Madrid en passant par La Hiruela, les moulins de Montejo de la Sierra et de Prádena del Rincon. Puis il entre dans la région de Guadalajara, à travers les ardoises siluriennes, jusqu'à l'ancien Convento de Bonaval. Il pénètre par de grands encaissements dans la bande calcaire crétacée - prolongation de celle de Ponton de la Oliva - qui, de Tamajon, avance sur Congostrina, en direction de Sigùenza. Il s'unit au Lozoya un peu au-dessous de Ponton de la Oliva. Puis il bifurque vers le sud et forme la plaine de Torrelaguna, laissant Uceda sur sa gauche, huit cents mètres plus haut, au pont de bois. À partir de sa confluence avec le Lozoya, il sert de limite aux deux provinces. Il pénètre dans celle de Madrid, quelques kilomètres avant l'Espartal, coulant maintenant dans la bande de sables diluviaux de l'ère quaternaire, et ses eaux divaguent dans un lit indécis, sans utilité pour l'agriculture. À Talamanca seulement on a pu en tirer un canal fort court pour faire marcher un moulin à deux meules. Il y a un pont, à Talamanca, aujourd'hui inutile car la rivière l'a refusé voici bien des années pour s'ouvrir un autre chemin. De Talamanca à Paracuellos, on passe la rivière sur différents bacs, jusqu'au pont de Viveros que franchit la route Aragon-Catalogne, au kilomètre seize en partant de Madrid...»
- Tu permets que je tire le rideau ?
Il était toujours assis de la même façon : le dos tourné à l'obscurité du mur du fond ; le visage contre la porte, vers la lumière. Le comptoir s'allongeait à sa gauche, parallèlement à son regard. Il plaçait sa chaise en travers, de sorte que le dossier lui soutînt le bras droit, tandis que le gauche reposait sur le comptoir. Ainsi, il s'enfonçait dans une sorte de niche, munissant son corps par trois côtés ; et par le quatrième il désirait avoir de la lumière. Devant il voulait la voie libre pour son visage et il ne supportait pas que le rideau lui coupât la vue de l'autre côté de la porte.
Présentation de l'éditeur :
De jeunes Madrilènes passent la journée au bord du Jarama, immense fleuve qui coule non loin de Madrid.
Un dimanche d'août, six garçons et cinq filles bavardent, boivent, se baignent et se courtisent par un jour oisif de l'Espagne pacifiée, mais vide, des années 1950. A sa parution en plein franquisme, ce roman, vivant et dialogué, célébrant la vérité du langage, a révolutionné les lettres hispaniques et fondé le réalisme d'après-guerre. Il met en scène jusqu'à l'ivresse l'être aux prises avec les incessants détails de la vie quotidienne.
Face à ces petits riens d'une chaude après-midi d'été survient le drame : la disparition de Luci, l'une des jeunes filles, happée par les eaux boueuses et implacables du Jarama, nous rappelant alors les lois fatales de l'existence. En 1955, Rafael Sanchez Ferlosio a obtenu le prix Nadal pour ce roman.
Rafael Sanchez Ferlosio est l'un des écrivains espagnols vivants les plus importants. Parmi ses oeuvres, on retiendra Ruses et aventures d'Alfanhui et Témoignage de Yarfoz. Le prix Cervantès lui a été décerné en 2004 pour l ensemble de son oeuvre. Le discours prononcé à cette occasion figure dans cette édition.
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