Extrait :
André Breton et la constellation noire des Caraïbes
L'«anthropologie de la magie»
Ce fut à l'initiative de son ami Pierre Mabille, auteur d'un étonnant ouvrage d'inspiration surréaliste, Le Miroir du merveilleux (1940), Pierre Mabille venait d'être nommé attaché culturel de la France en Haïti et allait fonder, en décembre 1945, l'Institut français d'Haïti. André Breton fut invité, en septembre 1945, à donner une série de conférences à Port-au-Prince. Elisa et André Breton, qui étaient à ce moment à New York, arrivent donc en Haïti, par avion, le 4 décembre. Les témoignages de Paul Laraque et René Depestre que nous publions dans ce volume, montrent l'atmosphère d'attente et d'enthousiasme qui entourait cette visite. Cette attitude était partagée par les jeunes qui publiaient la revue La Ruche. Organe de la Jeune Génération, dont le numéro du 7 décembre 1945 annonce, dans un grand titre en première page : «Bienvenue au grand surréaliste André Breton». Leur hommage va aussi bien au poète qu'au combattant pour la liberté : «André Breton est de ces intelligences dont les convictions antifascistes ont dépassé les frontières de la France, pour trouver l'approbation unanime de tous les milieux non-conformistes du monde. (...) Le surréalisme est la négation absolue des valeurs vermoulues auxquelles s'attachent avec opiniâtreté les écrivains réactionnaires. Son attitude lors de la défaite française a été admirable.»
Si l'auteur des Manifestes du surréalisme a accepté l'invitation, ce fut parce que la culture noire des Caraïbes l'intéressait au plus haut point. Cela concerne évidemment les artistes surréalistes pour lesquels il éprouvait la plus vive admiration : les poètes Magloire Saint-Aude, Aimé et Suzanne Césaire, le peintre Wifredo Lam. Breton avait fait la connaissance du couple Césaire lors de son séjour en Martinique en 1941 : de cette chaleureuse rencontre rend compte le livre Martinique charmeuse de serpents (1948), où il célèbre le Cahier du retour au pays natal du poète martiniquais comme «le plus grand monument lyrique de ce temps.»
Présentation de l'éditeur :
Un des aspects les plus étonnants de la Révolution haïtienne, dite des «Cinq Glorieuses de 1946», a été le rôle joué par des étincelles poétiques dans le déclenchement de l'explosion. Cela vaut pour Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain, l'ouvrage qui a inspiré, plus que tout autre, la jeunesse rebelle haïtienne ; par les écrits de la revue Tropiques, d'Aimé Césaire, avidement lu en Haïti ; par le recueil de poèmes Etincelles (1945) de René Depestre ; et par les conférences d'André Breton en décembre 1945, les plus directement associées à l'insurrection de janvier 1946, comme on va le voir dans les pages qui suivent. Ces étincelles sont tombées sur une poudre sèche et inflammable : la rage du peuple haïtien et son désir de liberté. Cette fusion explosive entre poésie et insurrection, surréalisme et révolte sociale, est un cas peut-être unique dans l'histoire des révolutions modernes.
Ce volume est composé de deux essais : le premier, de Michael Löwy, avance quelques hypothèses sur les rapports entre les conférences d'André Breton et les événements de Janvier ; le deuxième, le témoignage de Gérald Bloncourt, un des meneurs des «Cinq Glorieuses» (les journées du 7 au 11 janvier). Ces textes sont suivis de nombreux documents, poèmes, photos, dessins, témoignages, coupures de journaux et d'une étude historique sur les événements de 1945-46.
Illustration de couverture de Gérald Bloncourt, Langueur, (1945).
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