Extrait :
Extrait de la préface de Roger Bordier :
Tandis que dans la haine de 1789 et des Droits de l'Homme la Restauration s'efforce d'imposer partout son pouvoir, son autorité, ses lois, sa bêtise et ses emblèmes, tandis que les revenants de l'ancien régime comptent beaucoup sur la «sagesse» de la province, c'est justement en cette province-là, et même très exactement en ce qui constitue le centre géographique de la France, Bourges, que se produit un événement où - mauvais présage ? - c'est la jeunesse qui fait entendre sa voix d'opposante. Le lycée de la ville est en émoi et le préfet des études convoque dare-dare le coupable qu'on lui a désigné :
- Quel âge avez-vous ?
- Treize ans.
- Quel est ici votre statut d'élève ?
- Boursier.
- Un comble ! Et c'est vous qui avez piétiné dans la cour, devant vos camarades, la cocarde blanche qui vous protège. Notre cocarde royale.
- C'est moi.
- Et c'est vous qui avez arboré l'infâme cocarde tricolore, dite «républicaine»
- C'est moi.
- Comment vous appelez-vous ?
- Claude Tillier.
Ainsi commença tôt et non sans énergie l'activité politique de celui qui avait alors l'âge du petit tambour Bara. Le préfet des études parlait de ses camarades comme si ces derniers avaient été choqués par le mauvais exemple qu'il voulait leur donner. Ce fut le contraire. Ils l'approuvèrent joyeusement et de ces poitrines adolescentes jaillit le cri décrété sacrilège et qui fut entendu au-delà des murs de l'établissement : Vive la République !
Cela dit, l'on préféra fermer les yeux (ou à demi) dédaigner le geste et le mot, tout en condamnant l'attitude d'un élève boursier à ce point oublieux de ce que l'état monarchique faisait pour lui. Ne vivait-il pas,-n'étudiait-il pas à ses frais, ainsi que l'écrivit ce même préfet dans une gazette locale ?
Enfin, en août 1820, Claude Tillier, intellectuellement bien armé, ayant reçu une excellente formation classique, quittait définitivement le lycée de Bourges, son diplôme de bachelier es lettres sous le bras. Il avait dix-neuf ans.
Fils de Edme-Claude Gaspard Tillier, artisan serrurier et de Marie-Anne Cliquet, il était né le 21 Germinal An IV (10 avril 1801) dans une charmante petite cité de la Nièvre, Clamecy où, soixante-cinq ans plus tard, Romain Rolland devait aussi voir le jour.
Intelligent, actif, nerveux et fier, d'une inlassable curiosité, d'une grande sensibilité aussi, l'enfant fera preuve d'un caractère bien trempé et d'une précocité étonnante. Il ne faut donc pas s'étonner si le lycéen de Bourges se livra à cette vigoureuse démonstration, lui qui se déclarait héritier de la grande Révolution et surtout, tenait-il à préciser, de 92 et de 93. Il y aura toujours en lui du soldat de l'An II. Aussi s'ennuie-t-il dans les deux postes d'enseignant qu'il occupe, à Soissons d'abord, à Paris ensuite. L'action, pense-t-il, l'action me manque. Elle viendra sous une forme qu'il n'eût sans doute pas souhaitée et qui, pourtant, fera surgir en lui l'écrivain. Il était sans travail, ayant dit son fait, brutalement, au directeur d'une institution qui le payait fort mal, lorsqu'il dut s'incliner en 1822 devant les autorités militaires et accomplir son service.
Présentation de l'éditeur :
Héritier actif des Lumières (et l'on verra à la lecture de la préface que Tillier le fut très tôt) l'auteur a prêté à son personnage certains de ses traits, une vigueur intellectuelle, des choix philosophiques, un sens du concret que caractérise un bel entrain jubilatoire. Truculent orateur, pédagogue populaire, moraliste averti, Benjamin possède au plus haut degré une qualité souvent commentée de nos jours mais fort rare à l'époque : il sait démystifier. C'est là que se rencontre sans doute le mieux la personnalité singulière de ce médecin de campagne, républicain absolu - nous dirions aujourd'hui progressiste -bon vivant mais aussi bon scientifique. Son mode de raisonnement, ses alertes propos, ses conclusions politiques le rapprochent nettement des passionnants pamphlets de Claude Tillier, non moins attachants que ceux de Paul-Louis Courier, son aîné.
Certains ont relevé, en divers écrits, comme des traits de prémarxisme. On y trouve aussi, dans la même logique, des rappels de Gracchus Babeuf. Mort jeune (à quarante trois ans) Tillier a laissé une oeuvre imposante et que domine, en effet, ce fameux oncle prénommé Benjamin.
Roger Bordier
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.