Présentation de l'éditeur :
«Cent fois, j'ai eu la tentation de me dédouaner totalement en prenant mes distances avec cet ancien tortionnaire, de clamer ma haine de la torture, de multiplier les précautions de langage (...). Mais je préfère finalement laisser brut ce document qui dénonce moins les hommes de main que ceux qui les utilisèrent pour parvenir à leurs fins.»
Jean-Pierre Vittori, journaliste, écrivain, s'était fait connaître par un premier ouvrage, Nous, les appelés d'Algérie, dont un chapitre était consacré à la torture. Après sa parution, il reçoit une lettre dont l'auteur lui confie : «C'est vrai, j'ai moi-même torturé.» Le journaliste rencontre l'homme, un ancien militaire. Celui-ci, pendant cinq ans, a servi dans un des centres d'interrogatoire qui quadrillaient le territoire algérien. Dix cassettes d'entretiens seront enregistrées.
Jean-Pierre Vittori a choisi de n'ajouter aucun commentaire personnel ou historique sur ce récit à la première personne. Ce document n'est-il pas en soi la plus imparable des condamnations de la torture institutionnalisée ?
«Il faut lire ce témoignage parce que ce n est pas un réquisitoire ni une autocritique. C'est un exemple de ce que n importe quel homme moyen peut devenir lorsqu il croit servir une bonne muse. Et c est épouvantable. Le Nouvel Observateur
«Un témoignage explosif : celui d'un soldat qui avait pratiqué la gégène et d'autres plaisanteries de ce genre. Un livre écrit à la première personne afin défaire saisir le processus qui transforme un homme en bourreau.» Marianne
Jean-Pierre Vittori, journaliste, écrivain, a publié des essais, notamment La Vraie Histoire des appelés d'Algérie (Ramsay, 2001), un roman. Un moment d'inattention (Stock, 1979), et, en collaboration avec Jacques Ferrandez, un album jeunesse, Midi pile. l'Algérie (Rue du monde, 2001).
Extrait :
J'ai connu l'ambiance de la salle d'interrogatoire. Son atmosphère lourde. La chaleur moite collant la chemise à la peau en quelques minutes. Je conserve un souvenir ineffaçable de ces folles nuits de violence, quand l'homme s'acharnait à briser l'homme. De l'air épaissi par la fumée des cigarettes, de l'odeur caractéristique des corps suppliciés en sudation, mêlée à celle des déjections.
Pour comprendre ce que j'éprouve encore aujourd'hui, cette nausée qui m'envahit à cet instant-même, il faut entendre - comme je les entends - les cris, les hurlements, les respirations saccadées du «tortureur» et du torturé, le son mat des coups administrés aux prisonniers récalcitrants. Les supplications aussi. Comme les bruyantes affirmations d'innocence. Il faut avoir vu, comme je les vois en ce moment, ces yeux affolés de terreur fuyant mon regard, de crainte d'y lire la certitude d'une mort prochaine, ces visages défigurés par la douleur.
Et le silence. Ces minutes intenses quand, dans l'espace encore peuplé du tumulte que «la question» déchaîne, on n'entend plus que le souffle oppressé de l'homme qui vient de livrer son secret. Et qui sans doute se méprise.
Instants de repos nécessaires qu'il fallait s'octroyer plusieurs fois dans la nuit pour ne pas s'effondrer d'épuisement tant les séances d'interrogatoire vidaient le questionneur comme le questionné.
Pendant ces pauses, on se retirait dans un coin de la cave aménagée en lieu de supplice, on ouvrait quelques bouteilles de bière ou d'un alcool quelconque, doping indispensable pour détendre les nerfs soumis à rude épreuve. On allumait une cigarette. Parfois j'en offrais une au prisonnier. On entamait une conversation. La trêve. Nul ne s'intéressait à l'homme attaché nu sur une planche ou un lit de camp, l'estomac gorgé d'eau, les fils électriques encore fixés à une oreille et au sexe.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.