Extrait :
Toujours le même trouble, le même saisissement à la vue des hautes herbes croissant sur les talus, dans les prés, les herbages, les champs bordés de haies ou de clôtures barbelées, sous les vergers sans âge, dans les prairies en pente, les jardins attenants aux maisons de campagne, fermes ou résidences secondaires, les parcs dés propriétés bourgeoises, les terrains à l'abandon... Toujours le même élan mal réprimé à l'endroit de ces nappes foisonnantes de verdure et de fleurs à l'état sauvage... Comme si la nature tout entière se fendait d'un large sourire et s'ouvrait généreusement à ma conscience, s'offrait dans toute sa profondeur et sa folle opulence; comme si mon âme par le truchement du regard avait pleinement accès à l'intimité du monde au-dehors, soudain accessible, presque envahissant, et faisait entrée d'un seul coup au coeur même, dense et multiple, du règne végétal. Un choc infime, un léger ébranlement de l'esprit et des sens, une révélation cinglante tout autant que fugace, je ne saurais dire au juste ce qui se trame en moi lorsque, à la faveur d'un virage le long d'une petite route de campagne, mes yeux incidemment se posent sur ces nuées d'herbes drues, dans la profondeur de champ confuse desquelles ils se précipitent et se noient l'espace d'un instant, tâchant de repérer ou de fixer au passage quelques bribes singulières de cette vaste étoffe de réel, sur lesquelles ma pensée puisse s'étendre et divaguer indéfiniment.
Dès le retour du beau temps, au tournant de l'hiver, tandis que les journées remontent peu à peu le courant de la lumière jusqu'à la source d'été, comme ces marcheurs qui se mettent en chemin dès avant l'aube sur le versant obscurci d'une montagne en direction du soleil levant, quelque force impérieuse me pousse au-dehors, quelque aspiration tenace de renouveau me conduit sur les routes, qui se doublent de la persuasion intime qu'une assemblée se tient et m'attend à chaque virage, au détour du relief, pour me faire signe, m'avertir de sa présence tumultueuse et m'inviter à la rejoindre sur-le-champ. Je me sens pris à partie à mon tour, requis à distance par ces cohues d'herbes et de fleurs entrelacées, interpellé par ces huées de couleurs vives, ces brassées de voix confondues - véritables chorales de verdeur printanière -, qui m'enjoignent d'accourir pour me mêler à elles, plonger dans leur effusion houleuse, et m'ouvrir à leur élan de reviviscence.
Présentation de l'éditeur :
Aller à la découverte des hautes herbes, au détour de paysages repeints aux couleurs de la reverdie annuelle, est un bonheur comparable à celui de se lever tôt pour constater que le soleil règne en maître absolu sur la campagne, avant que ses rayons, frappant de plein fouet les yeux du promeneur matinal, à peine éveillé, ne le jettent, l'esprit à moitié sonné, sur le carreau éblouissant des routes.
H.V.
Né en 1964 à Lyon. A également publié quatre livres à Cheyne dans la collection Grands fonds (Suites terrestres, 1991, Paysages, encore et autres petits contes, 2003, Le Débat solitaire, 2006 et Le Morateur, 2008). Et deux autres titres chez Deyrolle : Paysages, en 1994, et Les Hauts Plateaux, en 1996. Collaboration aux revues Théodore Balmoral, Verso, L'Atelier contemporain (n°2, 2000 / n°7, 2003), les Heures.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.