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Politique du Renoncant:Le Dernier Rousseau: Des Dialogues Aux Reveries - Couverture souple

 
9782841745463: Politique du Renoncant:Le Dernier Rousseau: Des Dialogues Aux Reveries
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Extrait :
LE PROCÈS DE SOI

«J'ai pour me guérir du jugement des autres toute la distance qui me sépare de moi».

Antonin Artaud, Lettres à Jacques Rivière.

«Partout où un homme trouve ce qu'il appelle soi-même, je crois qu'un autre peut dire que là réside la même personne». Avec cette formule, Locke relie sa définition de la conscience comme auto-reconnaissance assumée sur la ligne du temps, avec une définition éthico-juridique. L'identité personnelle tient à ce que tel individu se reconnaisse comme soi et que les autres l'en créditent; la conscience de soi ne s'éprouve telle que dans la perspective de la responsabilité, et, comme l'écrit Charles Taylor : «la même personne que X est l'être qui peut ajuste titre être récompensé ou puni pour les actes et les fautes de X». Maintenant qu'arrive-t-il si la même personne que X ne se reconnaît pas dans les fautes imputées à X ? Il lui faudra prouver soit qu'elle est bien X mais que ces crimes échappent à sa conscience de soi, soit qu'elle-même et X sont deux personnes distinctes. Mais qu'arrivera-t-il encore si cette démonstration ne peut être faite parce que le procès de X s'est déroulé à son insu, ou qu'une raison inconnue mais puissante interdit qu'il ait jamais lieu ? Qu'arrivera-t-il enfin si le nom de X est celui d'un écrivain, Jean-Jacques Rousseau, tellement connu que le public a pris l'habitude de le désigner par son prénom ? Tels sont les éléments de la problématique travaillée dans Rousseau juge de Jean-Jacques. La même personne que Jean-Jacques Rousseau croit être punie pour les fautes dont est accusé Jean-Jacques Rousseau. Elle croit que cette punition a été décidée à l'unanimité mais sans procès public, elle demande que ce procès ait lieu pour se justifier et être jugée; et dans l'attente de ce procès improbable, elle décide de produire un mémoire juridique, une sorte de factum en pro et contra dont le public est friand dans ce dernier tiers du XVIIIe siècle. Dans ce factum, ce qui est débattu est de savoir si les fautes imputées à Jean-Jacques Rousseau le sont à la même personne que Jean-Jacques Rousseau ou à un autre; le point de vue de la défense est qu'il faut les imputer à un autre : «la force de vos preuves ne me laisse pas douter un moment des crimes qu'elles attestent, et là-dessus je pense exactement comme vous : mais vous unissez des choses que je sépare. L'Auteur des Livres et celui des crimes vous paraît la même personne ; je me crois fondé à en faire deux. Voilà, Monsieur, le mot de l'énigme» (OC I, p. 674). Le point de vue de l'auteur en tant que metteur en scène du procès fictif qu'il fabrique, c'est que travailler à sa justification implique de comprendre comment autrui juge X : «il fallait bien supposer des raisons dans le parti approuvé et suivi par tout le monde» ; il a donc fallu que la même personne que X juge X comme s'il était un autre : «j'ai toujours dit que si l'on m'eut donné d'un autre homme les idées qu'on a données de moi à mes contemporains, je ne me serais pas conduit avec lui comme ils font avec moi» (p. 661) ; la solution littéraire choisie consiste en une disjonction du nom et du prénom de X : «j'ai pris la liberté de reprendre dans ces entretiens mon nom de famille que le public a jugé à propos de m'ôter, et je me suis désigné en tiers à son exemple par celui de baptême auquel il lui a plu de me réduire.» (p. 663). Il y aura donc «Rousseau» et «J.-J.» ; mais comme on l'a vu, il y aura en réalité deux «J.-J.» postulés : celui condamné par le public, celui défendu par «Rousseau» : le criminel et l'écrivain ; mais l'écrivain lui-même, que sait-on de son identité et comment juger avec certitude qu'il est bien l'auteur de ses livres ou que les livres qui lui sont attribués sont bien les siens ? «On lui signifie, écrit Michel Foucault dans son introduction de 1962 aux Dialogues, qu'il n'est pas l'auteur de ses livres ; on lui signifie que, quoi qu'on dise, son propos sera déformé ; on lui signifie que sa parole ne lui appartient plus, qu'on étouffera sa voix, qu'il ne pourra plus faire entendre aucune parole de justification, que ses manuscrits seront pris ; [...] qu'il ne pourra rien transmettre de ce qu'il a voulu dire aux générations futures»4. Comme si le silence était désormais la vocation nécessaire de la conscience de soi dans le champ du discours de l'Autre.
Présentation de l'éditeur :
Il arrive qu'un auteur croie avoir raté une oeuvre. Il arrive que le temps dévoile le génie de cet échec. C'est sans doute ce qui se révèle pour nous à l'égard de Rousseau juge de jean-laques (1772-1776) : car s'il y a quelque chose d'intenable dans la stratégie énonciative compliquée de ce texte, c'est que Rousseau y affronte l'impéritie des formes disponibles, relativement à ce qu'il entend saisir de lui-même comme un autre dans le ressassement de la rumeur - soit le jugement de l'opinion publique à l'époque de sa coagulation historique. Si nous voulons saisir ce qui dans ce texte nous concerne aujourd'hui, nous devons nous rappeler que, pour leur auteur, rien de ce qui touche aux moeurs des nations n'échappe à la dimension du politique ; or si «trouver une forme qui exprime le gâchis» (Beckett) s'avère la tâche de l'artiste, tout essai authentique dans cette direction s'ouvre à l'épreuve de l'informe. Cependant la défaite recèle des trésors : lucidité du renonçant, privilège du silence et de la sécession. L'expérience du Promeneur solitaire s'ancre là où la perte vertigineuse de la communauté est radicalement convertie en savoir tragique de l'humain, savoir à la fois sans âge (celui du gnôthi seautón) et moderne absolument (Rousseau fut la conscience critique des Lumières). Car si le détachement radical à l'égard des autres est bien une donnée irréductible et fondatrice de la situation d'écrire-vivre, l'entreprise de connaissance de soi rencontre néanmoins à sa source la question du rapport à autrui, de sa genèse, de sa transformation. La réactivité du dernier Rousseau à ce reflux vers son oreille de sa pensée désormais médiatisée, son attention à ce qui par là lui vient comme son propre inconnu (fût-il dénié sous les espèces de la défiguration), signalent finalement que l'entreprise ne se soutient que d'inscrire et de réfléchir une écoute profonde des logiques régissant le discours public - par où l'écriture se fait sismographe d'une époque où se profile la nôtre.

Jean-François Perrin est professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l'Université de Grenoble. Il a publié : Le Chant de l'origine, la mémoire et le temps dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau (Oxford, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 1996) ; Rousseau, Lettres philosophiques (édition critique), Livre de poche, coll. «Classiques de poche», 2003 ; J.-J. Rousseau : La reine Fantasque (édition critique), in Hamilton et autres conteurs (H. Champion, «Bibliothèque des génies et des fées», n°16, 2008), ainsi qu'une trentaine d'articles sur les écrits et la pensée de Rousseau. Il prépare une édition critique des Lettres à Malesherbes, de la Lettre à M. de Saint-Germain et des Dialogues, dans le cadre de l'Édition chronologique complète des oeuvres de J.-J. Rousseau en cours de publication aux Classiques Garnier.

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  • ÉditeurKimé
  • Date d'édition2011
  • ISBN 10 2841745465
  • ISBN 13 9782841745463
  • ReliureBroché
  • Numéro d'édition1
  • Nombre de pages368

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Perrin, Jean-François
Edité par Kimé (2011)
ISBN 10 : 2841745465 ISBN 13 : 9782841745463
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Vendeur :
Librairie La Canopee. Inc.
(Saint-Armand, QC, Canada)
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Description du livre Livre NEUF / NEW condition 174-90546 '9782841745463 Détours littéraires 24/05/2011 Broché. N° de réf. du vendeur 200324DM9717

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