Lors de sa première représentation en province, en 1741, la tragédie de Voltaire (1694-1778) fut très applaudie de certains prélats, trop heureux que le prophète des " mahométans " y apparaisse comme un vieillard cynique et avide de pouvoir, qui pousse un jeune disciple au meurtre politique. Voltaire a-t-il cherché à blasphémer contre l'Islam, comme des musulmans le croient aujourd'hui ? Les autorités ecclésiastiques ne se laissèrent pas duper longtemps : la pièce fut interdite dès 1742, après la troisième représentation parisienne. Ce Mahomet visait en premier lieu l'Eglise apostolique et romaine. Bien plus que la perversité et la malhonnêteté d'un faux prophète de théâtre, c'est le fanatisme en général que le philosophe dénonce : le véritable sujet de la pièce est de montrer l'étrange séduction du discours religieux et la fascination qu'il exerce sur les jeunes âmes.
"Je n'ai pas prétendu mettre seulement une action vraie sur la scène, mais des moeurs vraies, faire penser les hommes comme ils pensent dans les circonstances où ils se trouvent, et représenter enfin ce que la fourberie peut inventer de plus atroce, et ce que le Fanatisme peut exécuter de plus horrible. Mahomet n'est ici autre chose que Tartuffe les armes à la main. Je me croirai bien récompensé de mon travail, si quelqu'une de ces âmes faibles, toujours prêtes à recevoir les impressions d'une fureur étrangère qui n'est pas au fond de leur coeur, peut s'affermir contre ces funestes séductions par la lecture de cet ouvrage."
Voltaire, Lettre à Frédéric II, Roi de Prusse